Par Gareth Porter
12 Mai, 2018
Tout le monde sait que Bolton est un faucon. On en sait moins sur la façon dont il a travaillé en secret pour diviser Washington et Téhéran.
Dans mes reportages sur la politique israélo-américaine, j’ai suivi de nombreux épisodes au cours desquels les États-Unis et/ou Israël ont pris des mesures qui semblaient indiquer des préparatifs de guerre contre l’Iran. Chaque fois – en 2007, en 2008 et de nouveau en 2011 – ces manœuvres, présentées dans les médias institutionnels comme annonçant des attaques contre Téhéran, étaient en fait des bluffs visant à faire pression sur le gouvernement iranien.
Mais la forte probabilité que Donald Trump choisisse maintenant John Bolton comme son prochain conseiller en matière de sécurité nationale crée une perspective de guerre avec l’Iran qui est très réelle. Bolton n’est pas un faucon néoconservateur ordinaire. Il est obsédé depuis de nombreuses années par le désir de faire la guerre à République islamique, appelant à plusieurs reprises à bombarder l’Iran dans ses apparitions régulières à Fox News, sans la moindre indication qu’il soit conscient des conséquences d’une telle politique.
Il ne s’agit pas seulement d’une posture rhétorique : Bolton a activement conspiré pendant son mandat en tant que responsable politique de l’administration Bush sur l’Iran, de 2002 à 2004, afin de créer les conditions politiques nécessaires pour que l’administration mène une action militaire.
Plus que quiconque à l’intérieur ou à l’extérieur de l’administration Trump, Bolton a déjà incité Trump à rompre l’accord nucléaire iranien. Bolton s’est servi de ses liens avec le principal financier derrière Benjamin Netanyahou et Donald Trump lui-même – le magnat des casinos et sioniste militant Sheldon Adelson – pour se faire entendre de Trump en octobre dernier, au moment même où le président s’apprêtait à annoncer sa politique sur l’accord nucléaire iranien, le Plan d’action global conjoint [Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPOA, NdT]. Il a parlé avec Trump par téléphone depuis Las Vegas après avoir rencontré Adelson.
C’est Bolton qui a persuadé Trump de tenir des propos précis en s’engageant à se retirer de la JCPOA si le Congrès et les alliés européens de l’Amérique n’acceptaient pas les demandes de changements majeurs qui étaient clairement calculées pour s’assurer que l’accord échouerait.
Bien que Bolton n’ait pas été choisi pour le poste de secrétaire d’État, il semble maintenant avoir eu la priorité pour le poste de conseiller en matière de sécurité nationale. Trump a rencontré Bolton le 6 mars et lui a dit : « Nous avons besoin de vous ici, John », selon un associé de Bolton. Bolton a dit qu’il ne prendrait que le poste de secrétaire d’État ou de conseiller à la sécurité nationale, après quoi Trump a promis : « Je t’appellerai très bientôt ». Trump a ensuite remplacé le secrétaire d’État Rex Tillerson par l’ancien directeur de la CIA Mike Pompeo, après quoi des sources de la Maison-Blanche ont divulgué aux médias l’intention de Trump de remplacer H.R. McMaster dans un délai de quelques semaines.
Le seul autre candidat possible pour le poste mentionné dans les médias est Keith Kellogg, un lieutenant-général à la retraite qui était conseiller par intérim en matière de sécurité nationale après l’éviction du général Michael Flynn en février 2017.
Le plaidoyer très médiatisé de Bolton en faveur de la guerre avec l’Iran est bien connu. Ce que l’on ne sait pas du tout, c’est que lorsqu’il était sous-secrétaire d’État à la maîtrise des armements et à la sécurité internationale, il a employé une stratégie complexe et sournoise visant à justifier une attaque américaine contre l’Iran. Bolton a cherché à faire condamner la République islamique devant le tribunal de l’opinion publique internationale pour possession d’un programme secret d’armes nucléaires en utilisant une combinaison de pressions diplomatiques, de propagande grossière et de preuves fabriquées.
Malgré le fait que Bolton était techniquement sous la supervision du secrétaire d’État Colin Powell, son véritable patron dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie était le vice-président Dick Cheney. Bolton était également le principal point de contact de l’administration avec le gouvernement israélien et, avec l’appui de Cheney, il a pu bafouer les règles normales du département d’État en effectuant une série de voyages en Israël en 2003 et 2004 sans avoir l’autorisation requise du Bureau des affaires du Proche-Orient du département d’État.
Ainsi, au moment même où Powell disait que la politique de l’administration n’était pas d’attaquer l’Iran, Bolton travaillait avec les Israéliens pour jeter les bases d’une telle guerre. Lors d’une visite en février 2003, Bolton a assuré aux responsables israéliens lors de réunions privées qu’il n’avait aucun doute que les États-Unis attaqueraient l’Irak et qu’après avoir abattu Saddam, ils s’occuperaient également de l’Iran et de la Syrie.
Au cours de multiples voyages en Israël, Bolton a eu des réunions improvisées, y compris avec le chef du Mossad, Meir Dagan, sans faire les rapports habituels par câble au secrétaire d’État et à d’autres bureaux pertinents. À en juger par ce rapport sur une première visite de Bolton, ces réunions ont clairement traité d’une stratégie commune sur la manière de créer les conditions politiques d’une éventuelle frappe américaine contre l’Iran.
Le Mossad a joué un rôle très offensif en influençant l’opinion mondiale sur le programme nucléaire iranien. Au cours de l’été 2003, selon les journalistes Douglas Frantz et Catherine Collins dans leur livre The Nuclear Jihadist, Meir Dagan a créé un nouveau bureau du Mossad chargé d’informer la presse mondiale sur les efforts présumés de l’Iran pour se doter d’une capacité nucléaire. Selon Frantz et Collins, les fonctions de la nouvelle unité comprenaient la diffusion de documents provenant de l’intérieur de l’Iran ainsi que de l’extérieur.
Le rôle de Bolton dans une stratégie conjointe américano-israélienne, comme il le souligne dans ses mémoires de 2007, était de faire en sorte que la question nucléaire iranienne soit transférée de l’Agence internationale de l’énergie atomique au Conseil de sécurité des Nations Unies. Il était déterminé à empêcher le directeur général de l’AIEA, Mohamed El Baradei, de parvenir à un accord avec l’Iran qui rendrait plus difficile pour l’administration Bush de diaboliser Téhéran en tant que menace nucléaire. Bolton a commencé à accuser l’Iran d’avoir un programme d’armes nucléaires secrètes au milieu de 2003, mais il s’est heurté à la résistance non seulement d’El Baradei et d’États non alignés, mais aussi de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne.
La stratégie de Bolton était basée sur les allégations selon lesquelles l’Iran cachait son programme nucléaire militaire à l’AIEA et, au début de 2004, il a inventé un stratagème de propagande spectaculaire : il a envoyé à l’AIEA un ensemble d’images satellites montrant des sites du complexe militaire iranien de Parchin qui, selon lui, étaient utilisés pour des essais de simulation d’armes nucléaires. Bolton a exigé que l’AIEA demande l’accès pour inspecter ces sites et a transmis sa demande à l’Associated Press en septembre 2004. En fait, les images satellitaires ne montraient rien de plus que des bunkers et des bâtiments pour les essais d’explosifs conventionnels.
Bolton espérait apparemment que l’armée iranienne n’accepterait pas d’inspections de l’AIEA basées sur de telles allégations mensongères, jouant ainsi son thème de propagande sur « l’intransigeance » de l’Iran dans son refus de répondre aux questions sur son programme nucléaire. Mais en 2005, l’Iran a permis aux inspecteurs d’entrer sur ces sites et même de choisir plusieurs autres sites à inspecter. Les inspecteurs n’ont trouvé aucune preuve d’activités liées au nucléaire.
Cependant, la stratégie américano-israélienne a plus tard remporté le jackpot lorsqu’un grand nombre de documents censés provenir d’une source secrète au sein du programme d’armement nucléaire iranien a fait surface à l’automne 2004. Les documents, prétendument trouvés sur l’ordinateur portable de l’un des participants, comprenaient des dessins techniques d’une série de travaux visant à redessiner le missile Shahab-3 de l’Iran pour qu’il puisse transporter ce qui semblait être une arme nucléaire.
Mais toute l’histoire de ce que l’on appelle les « documents d’ordinateur portable n’était qu’une invention. En 2013, un ancien haut fonctionnaire allemand a révélé la vérité à l’auteur : les documents avaient été remis aux services de renseignements allemands par les moudjahidin E Khalq, le groupe armé anti-iranien qui était bien connu pour avoir été utilisé par le Mossad pour « blanchir » des informations que les Israéliens ne voulaient pas s’attribuer à eux-mêmes. De plus, les dessins montrant la reconfiguration qui ont été cités comme preuve d’un programme d’armes nucléaires ont été clairement réalisés par quelqu’un qui ne savait pas que l’Iran avait déjà abandonné le cône nasal du Shahab-3 pour une conception entièrement différente.
Il est clair que le Mossad travaillait sur ces documents en 2003 et 2004, lorsque Bolton rencontrait Meir Dagan. Que Bolton ait su que les Israéliens préparaient de faux documents ou non, c’était la contribution israélienne à la création des bases politiques d’une attaque américaine contre l’Iran dont il était l’homme de pointe. Bolton révèle dans ses mémoires que cette stratégie dirigée par Cheney a été inspirée par les Israéliens, qui ont dit à Bolton que les Iraniens se rapprochaient du « point de non-retour ». Un point, a écrit Bolton, où « nous ne pouvions pas arrêter leur progrès sans utiliser la force ».
Cheney et Bolton ont fondé leur stratégie de guerre sur la présomption que l’armée américaine serait en mesure de consolider rapidement le contrôle de l’Irak. Au lieu de cela, l’occupation américaine s’est enlisée et ne s’est jamais complètement ressaisie. M. Cheney a proposé de profiter d’un événement très meurtrier en Irak qui pourrait être imputé à l’Iran pour attaquer une base IRGC [corps des Gardiens de la révolution islamique, NdT] en Iran à l’été 2007. Mais le risque que les milices chiites pro-iraniennes en Irak riposteraient contre les troupes américaines fut un argument clé contre la proposition.
Le Pentagone et les chefs d’état-major interarmées étaient également bien conscients que l’Iran avait la capacité de riposter directement contre les forces américaines dans la région, y compris contre les navires de guerre dans le détroit d’Ormuz. Ils n’avaient aucune tolérance à l’égard des idées folles de Cheney sur une nouvelle guerre.
La prudence du Pentagone reste inchangée. Mais deux esprits à la Maison-Blanche, détachés de la réalité, pourraient contester cette circonspection – et pousser les États-Unis vers une guerre dangereuse avec l’Iran.
* Gareth Porter est journaliste d’investigation et contribue régulièrement du TAC [The American Conservative, NdT]. Il est également l’auteur de Manufactured Crisis:The Untold Story of the Iran Nuclear Scare. Suivez-le sur Twitter @GarethPorter.