La politique continue de faire fi de la volonté du peuple – De la diplomatie secrète à la manipulation médiatique

Karl Müller,  HORIZON ET DÉBATS,  N° 19, 20 août 2018

 

Cinq mois après le crime présumé, le gouvernement des États-Unis a décidé d’introduire des sanctions économiques strictes contre la Russie dès le 22 août 2018. La justification de leurs nouvelles sanctions se fonde sur l’accusation d’une transgression de la «ligne rouge» du législateur américain en utilisant la neurotoxine («arme chimique») «novitchok» pour tenter d’assassiner l’ancien double agent Skripal (ayant également travaillé pour le service de renseignement militaire de l’armée soviétique GRU).

Les nouvelles décisions ont été prises au moment de la publication de deux soi-disant rapports d’investigation du Scotland Yard britannique. Selon ces documents, deux suspects auraient été identifiés, deux agents du service de renseignement militaire russe GRU séjournant en Russie. La Première ministre britannique Theresa May devrait décider, selon ces rapports, d’une demande d’extradition adressée à la Russie. Si la Russie refusait, ceci aggraverait encore davantage les relations britanniques et russes.

Concernant les prétendus résultats d’investigation de Scotland Yard on lit: «Selon les rapports non confirmés, les auteurs présumés du crime ont été identifiés après plusieurs mois de recherches. Des centaines de détectives ont comparé le matériel d’innombrables caméras vidéo avec les données de voyageurs étant entrés ou ayant quitté la Grande Bretagne autour de la date de l’attentat du 4 mars.» («Neue Zürcher Zeitung» du 7/8/18).

 

Différentes conclusions

Quelles conclusions sont possibles? Certains diront: maintenant, il est évident que les Russes sont les auteurs de la tentative d’assassinat. Alors, il est juste que le gouvernement des États-Unis en tire les conséquences, et que Donald Trump, l’inepte sympathisant de Poutine, soit forcé à faire le nécessaire: introduire des sanctions encore plus strictes contre la Russie.
D’autres se demanderont de quel droit le gouvernement américain décide de nouvelles sanctions, alors que dans le cas Skripal rien du tout n’est prouvé jusqu’à ce jour et que toutes les anciennes assertions se sont avérées fausses» (p. ex. que le «novitchok» n’existerait qu’en Russie). Si même la «Neue Zürcher Zeitung» parle de «rapports non confirmés» et d’«auteurs du crime présumés», et utilise des termes extrêmement flous comme «le matériel d’innombrables caméras vidéo», «des centaines de détectives», «les données de passagers», on peut s’imaginer tout ce qu’on veut, mais il n’y a rien de concret qui soit convaincant ou qui vaille comme preuve. Les réactions russes officielles ne sont donc pas si déraisonnables, parlant d’une «guerre économique» de l’administration américaine contre la Russie et appelant le procédé du gouvernement contraire au droit international.

1918: Le président américain Wilson s’opposa à la diplomatie secrète

Au début novembre 1918, il y a bientôt 100 ans, c’était la fin de la Première Guerre mondiale. Les Etats de l’Europe étaient détruits, les gens étaient las des souffrances de la guerre… et se demandaient à juste titre: comment fut-il possible que l’on ait réussi à nous impliquer dans une telle tuerie de masse ?

Le président américain Woodrow Wilson utilisa ces sentiments des peuples et formula ses 14 thèses, ayant trouvé leur entrée dans les manuels d’histoire. Déjà la première retient que «les accords de paix doivent être conclus de manière transparente et publiquement.» Puis, dans la deuxième phrase de ce premier point: «Des ententes internationales secrètes n’auront plus leur raison d’être, la diplomatie devra toujours se pratiquer honnêtement et aux yeux de tout le monde.» Ceci correspondait au désir et à la volonté de millions de personnes. Jusqu’à ce jour, on recherche les causes de la guerre mondiale, les controverses se maintiennent, les archives sont toujours fermées. Il y eut de nombreuses ententes secrètes entre les gouvernements et les discrets milieux influents impliqués.

 

Wilson n’agit pas comme il avait parlé

Malheureusement, Wilson n’agit pas comme il avait parlé. Au contraire: vu dans la rétrospective, il faut supposer que ses dires n’étaient que de la propagande de guerre, habilement appliquée pour tirer les habitants de l’Europe (et des États-Unis) de son côté. Wilson avait engagé un spécialiste de la propagande: Edward Bernays. «Edward Louis James Bernays, né à Vienne le 22 novembre 1891 et mort à Cambridge (Massachusetts) le 9 mars 1995 est un publicitaire austro-américain.» Selon Wikipédia «il est considéré comme le père de la propagande politique institutionnelle et de l’industrie des relations publiques, ainsi que du consumérisme américain.» Puis on lit: «En 1917, durant la Première Guerre mondiale, Bernays fait partie du ‹Committee on Public Information› crée par le président Wilson pour retourner l’opinion publique américaine et la préparer à l’entrée en guerre.» Sa campagne fut conduite sous le slogan «Make the world safe for democracy» – Amère dérision !

 

L’apparence doit être démocratique, mais tout doit être sous notre contrôle

Wilson et Bernays savaient que les méthodes du XIXe siècle étaient obsolètes. Il n’était plus possible de dire aux peuples que la politique n’était pas leur affaire et ne concernait que les gouvernements. La politique avait besoin de nouvelles formes de «légitimation». Depuis la fin de l’absolutisme, la référence au droit divin du souverain n’était plus opportune. L’argumentation de Hegel, selon laquelle l’État (prussien) ne devait être pas moins que l’apogée de l’«incarnation» de l’esprit du monde (Weltgeist hégélien) convainquait, elle aussi, de moins en moins les gens. «L’apparence doit être démocratique, mais tout doit être sous notre contrôle», devint le nouveau principe, attribué bien plus tard à Walter Ulbricht de la RDA. Les moyens appropriés pour le réaliser étaient les relations publiques (public relations, PR) et les médias qui reprirent les contenus des PR et les divulguèrent sans vergogne. Il en est ainsi jusqu’à l’heure actuelle.

 

En position de force, combien de temps encore ?

Les conséquences en sont grotesques et amères. Là, où les guerres économiques, et d’autres choses encore pires sont imminentes, l’existence de millions d’humains est mise en question. Les PR et les médias ne servent pas uniquement à cacher le machiavélisme en politique, la violation continue du droit, l’ignorance politique derrière la dignité humaine et les droits de l’homme. Il s’agit également d’y habituer les gens petit à petit. Et la stratégie implique encore autre chose: les représentants des relations publiques savent que cette ignorance est évidente pour chacun qui sait réfléchir un peu. Mais les gens réfléchissant et empathiques doivent se sentir impuissants. Voilà, homme qui pense, tes idées et sentiments ne nous intéressent pas, tu es insignifiant, nos moyens pour le maintien du pouvoir sont plus forts, nous te rions au nez, le mépris est notre boulot, nous sommes en position de force, les «masses» nous suivront !

Combien de temps encore ?

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