Cultiver le dialogue au lieu d’enflammer des guerres d’informations hystériques

Allocution de Serguei Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, tenue au Forum sur la sécurité de Munich, le 18/2/17

Mesdames et Messieurs,

Il y a dix ans, le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a adressé cette conférence par un discours qui fut perçu en Occident comme un défi, voire comme une menace, bien que son message soulignait avant tout la nécessité de renoncer à l’unilatéralisme en faveur de la coopération honnête basée sur le respect mutuel, le droit international, une évaluation commune des problèmes globaux et la prise de décisions collectives. Hélas, les avertissements lancés jadis concernant les risques d’un monde unipolaire et l’obstruction à la création d’un monde multipolaire sont devenus réalité.
L’humanité se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. L’époque de l’ordre post-guerre-froide est terminée. Comme on peut s’en apercevoir, les institutions créées lors de la guerre froide ont totalement échoué à s’adapter aux nouvelles réalités. Le monde n’est pas devenu pour autant plus occidentalisé, sûr et stable. Cela semble évident lorsqu’on observe les résultats de la «démocratisation» du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’ailleurs.
L’élargissement de l’OTAN a créé un niveau de tensions en Europe méconnu depuis trente ans. Toutefois, cette année marque le 20e anniversaire de la signature de l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l’OTAN et la Fédération de Russie, signé à Paris [le 27 mai 1997], et les 15 ans de la Déclaration de Rome sur une «qualité nouvelle» de la relation entre la Russie et l’OTAN. Le principe fondateur de ces accords fut l’engagement commun pour la garantie de la sécurité sur des bases de respect envers les intérêts de chacun, pour renforcer la confiance mutuelle, empêcher un clivage euro-atlantique et pour effacer les tranchées divisant au lieu de rassembler. Ceci n’a pas été réalisé, surtout parce que l’OTAN est restée une institution de la guerre-froide. On dit que la guerre commence dans la tête des gens. Mais si l’on suit cette logique, il tombe sous le sens qu’elle devrait également se terminer dans la tête des gens. Ce n’est pas le cas avec la guerre froide. Certaines remarques de la part de politiciens européens ou américains semblent très clairement confirmer cela, également certaines remarques faites hier et aujourd’hui dans le cadre de cette conférence.
Je viens de mentionner l’expansion de l’OTAN. Nous rejetons catégoriquement toutes les allégations de ceux qui accusent la Russie et les nouveaux centres d’influence globale de vouloir saper le soi-disant «ordre du monde libéral». Ce modèle global était préprogrammé pour une crise depuis sa création par un club élitiste de pays n’ayant en tête que leur propre croissance et la domination de tous les autres. Il est évident qu’un tel système ne pouvait pas durer éternellement. Les dirigeants ayant le sens de la responsabilité doivent à présent faire un choix. J’espère que ce choix sera celui d’un monde plus démocratique et équitable, un ordre mondial post-occidental, si vous le voulez bien, dans lequel tout pays développera sa propre souveraineté dans le respect du droit international et cherchera à équilibrer ses propres intérêts nationaux avec ceux de leurs partenaires en respectant l’identité culturelle, historique et civilisationnelle de chaque pays.
La Russie n’a jamais caché ses points de vue et s’est toujours engagée avec honnêteté pour une collaboration d’égal à égal afin de créer un espace commun de sécurité et de développement de Vancouver à Vladivostok. Les tensions des dernières années entre les Etats-Unis, l’Europe et la Russie ne sont pas naturelles, je dirais même qu’elles vont à l’encontre de la nature.
La Russie est un Etat eurasiatique avec une grande diversité de cultures et d’ethnies. La prévisibilité et la bonne volonté dans nos relations avec tous les pays, notamment avec nos voisins, ont toujours été inhérentes à notre politique. Cette logique nous a mené à travailler étroitement avec la Communauté des Etats indépendants (CEI), l’Union économique eurasiatique, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Le bon voisinage et les bénéfices mutuels sont également la base de nos relations avec l’Europe. Nous faisons partie du même continent, avons écrit notre histoire ensemble et c’est en travaillant main dans la main que nous avons réussi à créer de la prospérité pour nos peuples.
Plusieurs millions de citoyens soviétiques ont sacrifié leur vie pour la liberté de l’Europe. Nous voulons voir une Europe forte, indépendante dans ses relations internationales et prenant soin de notre passé et de notre futur communs, tout en restant ouverte au monde qui l’entoure. Nous sommes consternés par le fait que l’UE est incapable de mobiliser assez de force pour abandonner sa politique russe basée sur le plus petit dénominateur commun et de soutenir les spéculations russophobes par pur «solidarité» et au détriment des intérêts pragmatiques de ses Etats-membres. Nous nous réjouissons du moment où le bon sens reprendra le dessus.
Quelle sorte de relation voulons-nous établir avec les Etats-Unis? Nous voulons des relations basées sur le pragmatisme, le respect mutuel et la compréhension de notre responsabilité spéciale pour un ordre global stable. Nos deux pays n’ont jamais été en confrontation directe l’un avec l’autre. Notre histoire est ancrée davantage dans l’amitié que dans la confrontation. La Russie s’est beaucoup engagée pour l’indépendance des Etats-Unis lorsqu’ils étaient en phase de devenir un Etat uni et puissant. Des relations russo-américaines constructives sont dans notre intérêt commun. Par ailleurs, les Etats-Unis sont un proche voisin, tout comme l’Union européenne. Le détroit de Béring nous sépare seulement de 4 kilomètres. Le potentiel d’une coopération politique, économique et humanitaire est énorme. Mais il faut évidemment vouloir en profiter. Nous sommes prêts à faire le premier pas dans la mesure où les Etats-Unis de leur côté sont également prêts à y participer.
De nos jours, on ne manque pas d’analyses concernant la genèse des défis globaux tels que le terrorisme, le trafique de drogues ou les crises ayant touché et englouti les régions de la Libye à l’Afghanistan et laissé des pays comme la Syrie, l’Irak, la Libye et le Yémen en sang. Certes, la Conférence de Munich va nous offrir l’opportunité de discuter de ces questions dans le détail ainsi que des conflits continus en Europe. Le plus important, cependant, c’est d’être conscient que les solutions ne pourront être trouvées par des moyens militaires.
Ceci est aussi entièrement applicable au conflit interne en Ukraine. Il n’existe pas d’alternative que de se conformer au protocole de Minsk par le dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk. C’est une position ferme adoptée par la Russie, l’Occident et le Conseil de sécurité de l’ONU. Il est important que les autorités de Kiev se mettent en route et respectent leurs obligations.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin d’un dialogue sur toutes les problématiques complexes pour trouver des compromis mutuellement acceptables. Les actions basées sur la confrontation et les échanges infertiles ne briseront pas la glace. La Russie ne cherche pas le conflit avec quiconque, mais continuera de défendre ses propres intérêts.
Notre priorité absolue est d’utiliser le dialogue afin d’atteindre un consensus mutuellement bénéfique. Il est approprié de citer dans ce contexte une directive du chancelier Alexandre Gorchakov de juillet 1861, de l’époque tsariste qu’il a fait parvenir à Eduard von Stoeckle, ambassadeur russe aux Etats-Unis: «Il n’existe pas d’intérêts divergents ne pouvant être réconciliés par un travail dur et zélé […] dans l’esprit de l’équité et de la modération.»
Si tout un chacun pouvait souscrire une telle approche, nous serions en mesure de rapidement dépasser la période de post-vérité, de rejeter les guerres d’informations hystériques imposées à la communauté internationale et de continuer notre travail honnête sans être distrait par des mensonges et des contre-vérités. Puisse l’ère «post-fake» [post-mensonge] advenir!
Merci.    •

Source: www.mid.ru/en/press_service/minister_speeches/-/asset_publisher/7OvQR5KJWVmR/content/id/2648249

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