Censure en Allemagne ?
Depuis que le peuple britannique a décidé de quitter l’UE et depuis l’élection de Donald Trump comme nouveau président des États-Unis allant à l’encontre de l’establishment, s’est déclaré en Allemagne un débat houleux sur ce qu’on appelle les «fake news» [fausses nouvelles] et les «tirades haineuses». Berlin va-t-elle restreindre la liberté d’expression ?
Rl. En Allemagne, les juristes ne sont pas les seuls à constater un développement dangereux du fait que la majorité parlementaire, représentée par les deux grands partis CDU/CSU et SPD, souhaite réglementer par la loi la liberté d’expression d’une opposition grandissante – sous prétexte de lutter contre les «mensonges» et les «harcèlements».
Michael Grosse-Brömer, chef du groupe parlementaire de CDU/CSU, s’est exprimé de la manière suivante: «Sur le Web, il y a quantités de personnes cherchant à déstabiliser, à répandre de fausses opinions (sic), à manipuler. La politique doit savoir comment réagir, surtout en période électorale» (ZDF, rapport de Berlin, 18 décembre). Là, il n’entendait pas dire que «la politique» doit entrer en un échange démocratique sur les arguments. Non, il s’agit bien d’un modèle médiatique pour préparer des activités «législatives» en vue de la campagne électorale allemande de septembre 2017. Fin décembre, la proposition du ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière demandant d’intégrer dans la Chancellerie fédérale une autorité de contrôle des médias, fit retentir les sonnettes d’alarme chez de nombreuses personnes. Voulait-on installer un «ministère de la vérité» ?
Accès aux sites Web
A la fin de l’année, les débats cessèrent brusquement dans les médias allemands. Il semble bien que la proposition de mettre en place une autorité de censure n’était pas encore politiquement réalisable. Donc, on trouva une autre voie.
Des plates-formes Internet, tels Facebook ou Twitter se trouvent spécialement sous pression politique, car on leur demande d’instaurer une sorte d’autocensure, étant donné qu’ils se transforment de plus en plus en un facteur décisif pour la formation des opinions dans le public. On leur demande donc d’éliminer les «fausses nouvelles» et les «tirades haineuses», en retirant du réseau les sites en question. Facebook a donc précipitamment décidé de se faire «volontairement» censurer par un groupe du nom Correctiv. De cette manière Facebook intervient massivement dans la libre formation de l’opinion. On ne sait pas si cette multinationale poursuit ainsi le même procédé que celui utilisé en Chine. Au ministère fédéral de l’Intérieur, on déclare vouloir attendre jusqu’en mars pour voir si Facebook met en œuvre sa censure de manière efficace.
George Soros, financier d’une nouvelle censure
Qui sont ces personnes habilitées à juger et censurer les propos de leurs compatriotes ? Qui les choisit, qui les paient ? Le groupe Correctiv chargé par Facebook est inscrit comme Sàrl. Il se compose essentiellement de journalistes et profite notamment du financement par une fondation proche du groupe de média allemand WAZ. En outre, la fondation Open Society du spéculateur américain et multimilliardaire George Soros contribue également au financement de Correctiv.
Il va de soi que cette façon de procéder va à l’encontre de tous les principes de droit démocratique et qu’il faut s’en débarrasser le plus vite possible. Le politicien allemand Wolfgang Kubicki (FDP) a parfaitement raison d’exiger davantage de juges et de procureurs pouvant poursuivre les délits tombant réellement sous le coup du droit pénal. Les premiers jugements officiels auront vite fait d’amener une diminution des délits tels que les calomnies et les insultes dans l’espace Internet actuellement caractérisé par un vide juridique.
L’importance de l’État de droit
Toutes déclarations appelant à des activités illégales, insultantes ou calomniantes relèvent, également en Allemagne, du domaine de la justice et sont réglés au niveau législatif. Pour imposer ses droits, il y a les lois, les juges et les tribunaux. Tout un chacun peut se défendre, lorsqu’il est atteint dans ses droits personnels. Toutefois, le droit ne peut être imposé qu’avec les moyens de l’État de droit. Ce n’est pas toujours évident, mais nécessaire.
Se forger une opinion grâce à la liberté d’expression
Par ailleurs, le législateur allemand laisse une large place à la liberté d’expression – pour de bonnes raisons. La libre formation de son opinion est un fondement crucial de la démocratie. Celle-ci dépend à son tour de la liberté d’information, de la liberté de la presse et finalement de la liberté d’expression. Des opinions et des informations variées sont la condition pour se faire une idée personnelle sur un sujet et pour être capable de participer avec sérieux aux décisions démocratiques. La libre formation de ses opinions est un aspect fondamental de la démocratie. En Allemagne, cela résulte notamment des tristes expériences faites lors du troisième Reich.
Les opinions «justes» et «fausses»
Les débats concernant les «fausses nouvelles» et les «tirades haineuses» sur Internet se révèlent de plus en plus comme servant d’instrument permettant d’introduire une censure étatique. Cela conduirait à l’introduction, au niveau législatif, d’opinions politiques «justes» et «fausses». Il semble évident que les opinions «justes» seraient celles défendues par l’establishment politique et les «fausses» celles qui y seraient contraires. On peut, par exemple, s’imaginer la sortie de l’euro ou la limitation de l’immigration. Il semble que ceux ayant salué le Brexit ou ayant préféré l’élection de Donald Trump à l’élection d’Hillary Clinton défendent également une fausse opinion.
Des médias libres sont un prérequis à la démocratie
Avec tout ce qui se passe en Allemagne, on peut se rendre compte que le désir d’influencer l’opinion publique dans un certain sens fait partie de toute démocratie vivante. Toutefois, le risque de vouloir limiter la liberté d’expression pour favoriser des intérêts de pouvoir est toujours présente. Le fait qu’un débat politique peut dégénérer en campagnes médiatiques et en propagande est connu de longue date – pas seulement depuis les élections présidentielles récentes des États-Unis.
Dans le passé, il s’agissait de rumeurs répandues par le biais des commerçants ou dans les bistrots, plus tard on utilisa des tracts, les journaux, la radio et la télévision pour former l’opinion publique; aujourd’hui s’ajoute le Web. Il a toujours fallu se battre pour garantir la liberté d’expression. Les nouveaux médias offrent la possibilité de diffuser rapidement et largement des informations, des contre-positions intéressantes et permettent de former sa propre opinion. – Mais aussi de fausses nouvelles, ce qui n’est pas non plus nouveau …
La pensée critique et la codécision comme antidotes
Pour être capable de s’affronter objectivement à diverses opinions, il est nécessaire d’avoir une formation scolaire solide et une bonne instruction civique. L’école est de grande importance. L’apprentissage systématique du savoir, une pensée logique et une formation humaniste sont des conditions préréquises pour développer une pensée indépendante et critique.
Il est également de grande importance d’avoir des personnalités de la vie publique, capables de défendre leurs points de vue honnêtement et clairement dans l’intérêt du bien commun, même si elles sont une fois seules à les défendre. Par leurs discours vides de sens, leurs mensonges effrontés et leurs promesses vides de sens, les politiciens allemands ne sont certes pas les seuls à pousser leurs concitoyens dans l’opposition. Faire preuve d’honnêteté et garder les pieds sur terre sont de rigueur.
On ne peut sous-estimer la formation politique continue pratiquée en Suisse par des votations trimestrielles et des élections périodiques. L’esprit critique qui en découle, accompagné d‘une tendance positive envers les projets politiques accorde peu de place aux idées radicales et réduit les possibilités étatiques de s’immiscer dans la vie privée. Cependant, là aussi, cela repose sur une formation scolaire solide ayant comme objectif de former des citoyennes et des citoyens conscients de leurs responsabilités.