par Ilias Iliopoulos*
«Le principe qui devrait engager les protagonistes d’un système international, implique plus qu’un modus vivendi entre eux, dans le sens du Cuius regio, eius religio (tel prince, telle religion) du traité de paix d’Augsbourg (1555) ou du principe de la non-intervention du Traité de Westphalie. La pensée sous-jacente est celle de la non-intervention d’un acteur souverain dans les affaires intérieures d’un autre. Cette pensée trouve sa meilleure application sous la forme du principe de base de la souveraineté nationale, capable de considération rétrospective sur une très longue durée.»
Lorsqu’on parle de stabilité dans le système international, il s’agit bien sûr toujours d’une stabilité relative, la seule envisageable, si l’on veut rester sur le plan de l’empirisme historique et des faits géopolitiques – une stabilité relative permettant, cependant, l’existence d’un ordre également relatif. Bien que toujours de façon relative et imparfaite, c’est un ordre qui – d’un point de vue des valeurs traditionnelles – tant au niveau de la politique intérieure qu’internationale, demeure précieux à conserver.
Dans toutes les époques historiques – depuis le système des villes-Etats de l’antiquité grecque jusqu’à l’époque de la guerre froide – les prémisses de l’ordre international ont été de deux sortes. La première et la plus importante est, depuis Thucydide, l’équilibre des forces.
L’équilibre des forces garantit la stabilité, l’ordre et la paix
Dans une perspective réaliste des relations internationales, seule une symétrie optimale dans la répartition des pouvoirs peut sérieusement garantir la stabilité, l’ordre et la paix tout en protégeant contre une prévisible démotivation générale et empêchant ainsi les différents acteurs respectifs du système de passer le Rubicon. Si, par contre, cette symétrie est absente, ou encore précaire, la stabilité internationale – tôt ou tard – va vers sa perte, malgré tous les prêches dominicaux remplis de bonnes et pacifiques intentions des hommes politiques, jusqu’à ce qu’elle trouve un nouvel équilibre.
La stabilité suppose qu’aucun pouvoir ne s’imagine en position de favori
La deuxième condition de la stabilité d’un système international repose, du point de vue d’une théorie conservatrice-réaliste des relations internationales, sur un axiome obligatoire pour tous les acteurs. Axiome qui, bien sûr, ne s’inscrit pas dans le sens du terme à la mode, vulgairement libéral, de l’exportation des «soi-disant valeurs et convictions démocratiques communes» – dont il faut en priorité se méfier. En effet, l’histoire nous démontre que la stabilité internationale se dissolve chaque fois, qu’un pouvoir se maintient dans la position du favori, en cherchant seul ou avec l’aide de ses alliés à imposer son propre modèle civilisateur à tout le reste des acteurs du système.
Exemples tirés de l’antiquité
Ainsi, on est libre de penser ce que l’on veut de l’exemple de l’ancienne Sparte. Cependant, un certain fait historique doit être pris en compte. Ce n’est pas Sparte, si spéciale, qui s’attirerait aujourd’hui les foudres de nos prêcheurs des droits de l’Homme, mais Athènes. C’est à cette dernière, politiquement et socio-économiquement très développée que revient la faute principale dans la guerre du Péloponnèse. Et donc, c’est à elle aussi que revient la destruction de l’ordre international de l’œcumène de l’époque, du système des villes-Etats, – justement parce que cette Athènes-là se voyait comme le foyer de la civilisation. En effet, elle se percevait, selon les mots de Périclès, comme l’école ou plutôt le véritable modèle pour la Grèce toute entière.1 De par sa conduite-même, elle entretenait la peur parmi les autres villes-Etats. Athènes a voulu leur imposer ses propres valeurs et ses convictions. Par ce fait, elle a engendré l’apparition d’une coalition anti-hégémonique.2
Souvenons-nous qu’à ce moment-là, Athènes agissait avec la conviction d’avoir atteint l’apogée de son pouvoir. En effet, pour avoir été victorieuse dans les guerres de Perse et après avoir repoussé le danger asiatique, Athènes gagna la renommée d’avoir sauvé la totalité du monde hellénique libre.
De façon significative, la «superpuissance» de l’époque ne se contentait pas de détruire l’ennemi commun. Elle cherchait aussi à en tirer un profit stratégico-politique. Athènes, puissance maritime libérale-démocratique, opérait la transformation de l’union maritime de l’Attique (l’union maritime de Délos, fondée en vue de la lutte contre le danger asiatique) vers une organisation de protection de l’hégémonie athénienne. C’était un outil de réalisation pratique et de légitimation idéologique de sa politique dans tout l’œcumène hellénique de l’époque pour la sauvegarde des intérêts athéniens dans les «opérations de maintien de la paix» déployées, selon la terminologie d’aujourd’hui.
L’élargissement des «valeurs» de l’UE/OTAN ou l’humanisme militaire ne sont pas un garant de la stabilité internationale
Revenons à la stabilité internationale: chaque acteur du système dispose de sa propre Constitution. En son temps déjà, l’écrivain conservateur écossais Walter Scott le savait: «On ne peut pas considérer de la même façon une nation civilisée disposant d’une très ancienne législation lui ayant permis, malgré tous ses manquements, de trouver sa voie et ses repères, à une toute jeune colonie, à laquelle on peut en toute impunité imposer ses propres initiatives législatives.»3
Si je parle d’un axiome obligatoire pour tous les acteurs comme la deuxième condition de la stabilité internationale, il ne s’agit pas, dans ma réflexion, d’une «obligation» à prétention missionnaire ni à une expansion violente à toute l’Europe ou au monde entier des «valeurs» d’une quelconque UE ou plutôt de l’OTAN. D’autant plus que, depuis l’offensive du nouvel ordre mondial contre la Serbie, contraire au droit international, il y a eu une remise à l’honneur de l’esprit des croisades et l’instauration, d’un «humanisme militaire» par Tony Blair, le clan Clinton, la chronique culturelle de la «Süddeutsche Zeitung» ainsi que les intellectuels de cour progressistes et post-nationaux du bureau politique néo-soviétique bruxellois.
A cet égard, ouvrons une parenthèse: l’élite bureaucratique supranationale a tendance à présenter sa propre justification idéologique pour ses actions politiques ou stratégiques. Pourtant, le fait que chaque aspiration au pouvoir d’un acteur international d’une certaine puissance cherche depuis toujours de telles justifications devrait en principe être reconnu par tous: «Les aspirations au pouvoir téléguidées par des combinaisons de raisons pragmatiques des suppôts de l’impérialisme sont toujours à la recherche des formes les plus diverses d’une légitimation quasi normative devant eux-mêmes et devant l’histoire».4
Les États restent les principaux protagonistes du système international
Le principe qui devrait engager les protagonistes d’un système international, implique plus qu’un modus vivendi entre eux, dans le sens du Cuius regio, eius religio (tel prince, telle religion) du traité de paix d’Augsbourg (1555) ou du principe de la non-intervention du Traité de Westphalie. La pensée sous-jacente est celle de la non-intervention d’un acteur souverain dans les affaires intérieures d’un autre. Cette pensée trouve sa meilleure application sous la forme du principe de base de la souveraineté nationale, capable de considération rétrospective sur une très longue durée.
Depuis la fin de la guerre de 30 ans, en 1648, les États sont les acteurs principaux du système international. Ils le restent encore, malgré toutes les importantes interdépendances internationales. Une guerre massive, systématique, politique, économique, militaire, idéologique et psychologique continuelle est également menée depuis 1991 par la classe dirigeante financière et par l’élite bureaucratique supranationale contre l’État national souverain.
Souveraineté des États – protection contre le droit du plus fort
D’ailleurs, le spectateur averti des relations internationales prend conscience que la notion de «souveraineté» n’a jamais été à comprendre dans l’absolu, mais toujours dans un sens réaliste. Néanmoins, les États s’en tiennent à leur souveraineté parce qu’ils la considèrent, dans le système juridique international imparfait, comme la protection par rapport au droit du plus fort: «Le droit de souveraineté des États reflète la poursuite fondamentale de la liberté et de l’autodétermination de leur propre rôle dans la communauté d’États internationale.»5
Les représentants d’un totalitarisme progressiste post-national «postmoderniste», mésestimant de plus en plus, depuis 1991, ce principe de base, le déclarent facilement pour nul et non avenu. Ils préconisent en cela une nouvelle édition de la doctrine de Brejnev. En effet, si l’ordre est assez facile à détruire, il est par contre très difficile de le restaurer, d’autant plus sous une forme stable.
Il faut à tout moment rappeler aux responsables politiques les mots du grand théoricien conservateur britannique Edmund Burke: «Un bon à rien, ne se risquant pas à démonter sa montre, ose cependant démonter et recombiner librement, un mécanisme beaucoup plus important et compliqué, consistant en des rouages totalement différents, des ressorts, des contrepoids et des composants de diverses dynamiques … Les bonnes intentions [des responsables politiques] induites en erreur ne sont en aucune façon une excuse à leur prétention.»6
Considérée de façon objective, la menace actuelle pour la sécurité internationale est que les deux conditions fondamentales de la stabilité internationale – l’équilibre des forces et l’axiome obligatoire – ne sont actuellement plus assurées.
Système international multipolaire du XXIe siècle
Actuellement, sur le plan géopolitique, une seule grande puissance dispose déjà de son propre espace économique et stratégique (dans le sens de Carl Schmitts). Elle en assure la défense extérieure avec succès et dispose, en outre, de possibilités d’actions planétaires qu’elle ne veut pas voir limitées par des interdictions d’intervention d’autres grandes puissances régionales comme les États-Unis.
Les États-Unis sont, certes, l’unique puissance mondiale, mais pas la seule. En face d’eux, il y a des puissances régionales, plus grandes et plus petites – et pour cette raison, des analystes stratégiques américains renommés décrivaient le système international de la première décennie post-bipolaire comme uni-multipolaire. Ils ne laissaient aucun doute que, dans une phase transitoire de quelques décennies, on arriverait au formatage définitif d’environ cinq ou six centres de pouvoir du système international multipolaire du XXIe siècle.
Longtemps, il semblait que notamment les puissances régionales du centre de l’Europe occidentale aspiraient à un rôle de puissances mondiales, avant tout en raison de leur force économique. Aujourd’hui, nous savons que les apparences étaient trompeuses. Comme si souvent au cours de l’histoire, ironiquement, la fin des illusions euphoriques de l’Europe coïncida avec l’heure du triomphe (Traité de Maastricht en 1992). Mais il est devenu depuis évident que durant les décennies de la guerre froide, pour des motifs partiellement communs et diamétralement opposés aux motifs stratégiques politiciens – emmenée par la France et la République fédérale d’Allemagne et énergiquement soutenue par les États-Unis –, l’«unification européenne» était et demeure à des années-lumière d’une véritable union et, surtout, d’une Europe des Nations libérales porteuse d’une identité forte et d’une indépendance stratégique.
L’«Europe unie» n’a jamais existé et elle ne peut être un sujet du droit international
Ce fait désagréable a été confirmé en Europe du Sud-Est, au Proche-Orient ainsi que dans l’espace méditerranéen une nouvelle fois au cours des 25 dernières années. Dans ces régions, ce sont toujours les États-Unis qui ont dirigé les offensives militaires contraires au droit international ou plutôt les opérations de déstabilisation contre les États indépendants et souverains. La Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France y ont également pris part; les deux premiers étaient en concurrence mutuelle pour le rôle du vassal le plus fidèle du grand frère pendant que la France – une puissance post-impériale de moyen calibre – dans son «délire obsessionnel» (Brezinski), croyant encore être une puissance mondiale, ne pouvait simplement pas supporter d’être absente, quand les Américains (et les Allemands en plus !) s’occupaient de remettre de l’ordre sur le vieux continent ou plutôt dans sa périphérie.
Cependant, si l’on fait un inventaire, il est étonnant de constater que l’«Europe unie» n’ait jamais existé. Aucun sujet du droit international n’est enregistré sous ce nom – ou aucun rapport sous ce numéro, comme l’avait fait remarquer par analogie Henry Kissinger.
Je tiens à préciser que je ne partage pas l’indignation des intellectuels progressistes subventionnés, des journalistes et des hommes politiques sur la prétendue incapacité dramatique de l’Union européenne à être un facteur de pouvoir et de stabilité. La colère des Européens professionnels est compréhensible, reste cependant la réaction de celui qui aurait tout misé sur un cheval incapable de courir. Et que ce cheval, ou plus précisément la vache (bruxelloise), ne courrait pas, il fallait bien s’attendre.
L’Europe et les États-Unis
Le rapport des pouvoirs d’Europe occidentale et des autres aspirants à la grandeur est très ambivalent envers le pouvoir mondial transatlantique, sous la protection duquel ils désirent édifier un grand espace économique. Donc, une éventuelle autonomie politico-militaire, voire stratégique, mènerait obligatoirement à un conflit avec cette puissance mondiale; la vieille méfiance, toujours forte quoique dissimulée, entre les puissances d’Europe occidentale elles-mêmes demeure, ce qui empêche une sérieuse volonté politique unitaire. Et l’influence de la puissance mondiale à l’intérieur de l’un ou l’autre des divers pouvoirs régionaux est si grande, que ce pouvoir dirigeant, selon l’appréciation de la situation, donne une fois à l’une, puis à l’autre, de ces puissances moyenne d’Europe centrale le statut privilégié de «Special Relationship» ou de «Leadership».
Pour toutes ces raisons, nous observons déjà la phase actuelle du passage de l’ancien au futur équilibre des forces. Au lieu de la superpuissance fantasmée de l’Europe, supposée être le contrepoids aux États-Unis, nous voyons tout autre chose: le réveil des peuples, le début de la dissolution de cette construction hybride, supranationale, quasi-étatique de la soi-disant Union européenne ainsi que l’impressionnant renforcement des mouvements nationalistes, centrifuges, attachés à l’idée patriotique, identitaire, et allant dans le sens de l’histoire.
Pour un principe d’ordre international
Après la fin de la guerre froide et l’écroulement du camp soviétique, la classe dirigeante financière supranationale, suivi de ses élites bureaucratiques supranationales subordonnées, a cherché à étendre le champ d’application de ses représentations éthico-anthropologiques dans les régions autrefois dominées par son ancien adversaire et, par-dessus le marché, sur tout le globe.
Par sa politique économique et culturelle, sa propagande et par ses moyens militaires, l’élite occidentale supranationale, cherche à imposer son concept idéologique (l’universalisme moraliste des droit de l’homme, couplé à un système parlementaire et sa représentation de l’économie de marché «libre») en tant qu’axiome dirigeant de la nouvelle ère post-bipolaire.
Cette ambition est tout à fait compréhensible. Tout aussi compréhensible est la métamorphose d’Ovide de ceux qui, encore tout récemment, dénonçaient chaque critique du «socialisme existant réellement» comme de l’anticommunisme aveugle. Mais ces derniers appellent aujourd’hui, en première ligne du Front journalistique et «activiste», à une nouvelle guerre sainte contre le nationalisme (ou même contre un prétendu «fascisme»!).
Les croisades «humanitaires» sont fallacieuses et dangereuses
Le penchant réactualisé à la croisade n’est soutenable ni sur le plan historique ni sur le plan anthropologique. Politiquement, il est irréaliste et très dangereux. Les nouvelles croisades («humanitaires») partageront le destin de toutes les anciennes. Elles détruiront la stabilité internationale ou plutôt ce qu’il en reste encore actuellement. Ce que nous avons vécu depuis 1991 aux Balkans, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Ukraine et ailleurs, ou actuellement en Syrie, n’est seulement qu’un prologue. L’interventionnisme des Etats occidentaux mettra l’Occident en confrontation avec le reste du monde – et pour finir lui portera du tort.
Laissez-moi souligner maintenant un point considérable: les idées de normes éthiques n’ont pas été mises au point pour être prises dans leur valeur nominale et être réalisées, mais pour fonder l’identité et être utilisées comme des outils au service de cette identité dans la lutte contre d’autres identités. Celui qui ne comprend pas cela, ne pourra jamais saisir ni leur structure mentale intérieure ni leur effet historique extérieur.
Au sujet de l’universalisme des droits de l’homme existant
Théoriquement, l’universalisation moraliste des droits de l’Homme décrétée par l’élite supranationale est plausible, si une organisation mondiale était chargée de sa réalisation dans le cadre de laquelle tous les acteurs étatiques, grands et petits, de la terre se seraient réunis. Théoriquement (et éthiquement!) cet universalisme pourrait être justifiable uniquement dans le cas où un pouvoir régional important ou même une puissance mondiale, pourrait être – au besoin – condamné, par le biais de l’intervention directe, sur l’initiative de puissances de moindre importance, parce qu’elle aurait violé les principes de base éthiques du droit généralement reconnus.
Nous savons, cependant, que lors de la guerre froide, ni les États-Unis ni l’URSS n’ont été sanctionnés pour leurs violations du droit international. En outre, après la fin de la bipolarité, la puissance restée en place a outrepassé encore bien souvent les normes et les principes du droit international, lorsque ces derniers ne correspondaient pas à ses intérêts – ignorant froidement toute légalité.
Dès lors, il devrait être clairement établi que le recours à quelques principes humanitaires ou démocratiques en tant que légitimation éthico-idéologique ne sert que qu’une très concrète politique de la force afin de décider des questions de pouvoir très concrètes. Le fait qu’à l’initiative d’une grande puissance – et par l’emploi de sa force de frappe – une puissance de moindre importance revienne à la raison et au respect des droits de l’homme ne prouve rien; l’inverse serait la pierre de touche d’un universalisme des droits de l’homme réellement existant.
Les déconstructivistes de l’idée de nation font fi du précieux patrimoine européen
Il faut malgré tout souligner que l’étude des représentants intellectuels du totalitarisme occidental progressiste post-national d’aujourd’hui, pratiquant la de-construction7 de l’idée de nation, font de cette façon fi des facteurs anthropologiques et historiques les plus importants, et même du plus précieux patrimoine intellectuel de l’Europe – partant des présocratiques en passant par Aristote jusqu’à Montesquieu et Burke. C’est stupide, mais il semble que les élites occidentales, au pouvoir d’aujourd’hui, et leurs intellectuels de cour, pensent pouvoir installer à l’aide de leurs bombes leur propre système oligarchique et post-démocratique (nommé par euphémisme «parlementaire» ou – encore de façon plus sophistiquée – «démocratie représentative»!) dans le monde entier – et pensent devoir le faire!
En principe, cela devait être une évidence pour les Européens conscients de leur culture et de leur histoire que les coins les plus reculés de cette planète abritent des systèmes politiques différents – suite à leurs expériences historiques, leur identité géoculturelle, leur situation géostratégique et socio-économiques ainsi qu’à la culture politique de chaque peuple pris séparément. Partant de cette diversité, ils ne souhaiteraient pas, en bons prosélytes, la chute des prétendus dictateurs, mais concluraient, comme le penseur américain (et également président des États-Unis) du XIXe siècle John Adams, «les despotes, les monarques, les aristocrates et les démocrates, les jacobins et les sans-culottes, s’enivrent de la même manière du pouvoir absolu».8
Il semblerait évident que même en cas d’une acceptation de la prétendue «démocratie» occidentale étendue à toutes les nations de la terre, ce système adopterait des formes différentes les unes des autres, selon le niveau de développement social, les expériences historiques, les conditions de développement géographiques, culturelles, socio-économiques et politico-stratégiques. Il en a été ainsi du christianisme, du féodalisme, de l’esclavage, du libéralisme, du fascisme ou du communisme, apparus dans chaque cas sous les formes les plus différentes.
Personne ne doit rendre responsable le porteur de mauvaises nouvelles – nous le savons depuis Tirésias attirant sur lui la colère du roi Œdipe. Nous devons le dire: plus arrogante sera la démonstration mondiale de l’élite supranationale, plus la propagation globale des idées et des lignes de conduite postchrétiennes, post-humanistes (en principe une sous-culture occidentale profondément dégénérée) en sera la réplique intrépide. Encore plus dynamique sera-t-elle, en venant de l’autre bord, lorsque les populations et les sociétés souhaitant prendre le chemin de l’Occident, mais sans y parvenir, se retourneront finalement, dans leur déception, contre lui en tout ce qu’il est, et en même temps contre son moralisme humanitaire.
L’Europe devrait se souvenir de sa propre identité et la défendre
Au lieu de cela, l’Europe devrait trouver la volonté et le courage de se souvenir de sa propre identité dans ses aspects historique, géoculturel, anthropologique et ontologique et de la défendre de façon énergique contre le totalitarisme islamique, mais aussi contre l’uniformisation des États-nations européens et des identités, donc de la culture européenne, systématiquement et massivement promue par l’élite supranationale.
A ce point, il faudrait prendre en considération et attirer avec insistance, l’attention sur les succès politiques considérables des pouvoirs politiques identitaires, indépendants, nationalistes, et des mouvements citoyens dans plusieurs pays européens, de la Finlande au Danemark jusqu’à la Slovaquie et à la Hongrie – sans parler de la Russie et de la Suisse, lesquelles sont de toute façon les derniers bastions de l’héritage intellectuel et culturel de l’Europe chrétienne, donc du bon sens commun.
La décision prise par le peuple britannique en faveur de la sortie de la Grande-Bretagne de la soi-disant Union européenne doit être interprétée comme un événement d’actualité de grande importance.9 En tant qu’historien, je me permettrais ici un pronostic: cette décision signale le début de la fin du Léviathan totalitaire bruxellois post-national – et en tant que tel, ce jour entrera dans les livres d’histoire.
Il reste naturellement à espérer que durant l’année 2017, les forces conscientes de leur identité, libérales et nationales en Grande-Bretagne, seront rejointes par d’autres succès analogues. Ce serait alors certainement la Némésis de l’histoire européenne pour l’hybris de la déconstruction de l’identité humaine.
(Traduction Horizons et débats)
1 Cf. les caractéristiques de la célèbre Epitaphe de Périclès, Thucydide, Historiai, II, p. 35–46
2 Les Spartiates, les Corinthiens et d’autres villes-Etats grecques l’exprimaient ainsi: «Nous avons recours à la guerre pour libérer la Grèce», ibid. I, p. 124 et IV, p. 85
3 Lockhart, J. G. Memoirs of the life of Sir Walter Scott. Edinburgh. 1853, Bd. 3, p. 305ss.
4 Kindermann, Gottfried-Karl. Grundelemente der Weltpolitik, Eine Einführung. Munich/Zürich, 1991, p. 254
5 Ibid., p. 170
6 Burke, Edmund. Appeal from the New Whigs. Works, London, 1854–57. Bd. III, p. 111ss.
7 A cet égard, voir l’excellent article de René Roca «Un regard helvétique sur l’année commémorative 2015». In: Horizons et débats no 32/33 du 30/12/15
8 Cf. Kirk, Russel. The Conservative Mind. 1953, p. 127
9 Une analyse de cette question, excellente à tous points de vue, a été réalisée par le Pr Richard A. Werner, publiée dans Horizons et débats. Cf. Werner, R. A. «Les principes fondamentaux de l’UE – Au sujet du référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne». In: Horizons et débats no 15 du 13/7/16