La neutralité de la Suisse remise en cause à travers sa coopération avec l’OTAN ?

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« Toute intervention commune avec l’OTAN est problématique »  – « entourloupe à la frontière de la Russie ? »

par Thomas Kaiser

Lundi 26 mai, aux nouvelles de six heures, toute personne levée tôt apprenait avec étonnement que les forces aériennes suisses participaient avec plusieurs avions de combats à des manœuvres internationales en Suède, en Norvège et en Finlande, donc près de la frontière russe. Ce qui est choquant, c’est qu’à côté de la Norvège cinq autres Etats membres de l’OTAN prenaient part à ces manœuvres, ressenties comme une provocation par la Russie. Le nom significatif de ces manœuvres est «Arctic Challenge Exercise», désignées sous l’euphémisme d’« exercices de défense multinationale ».

Le scénario fictif impliquait d’ériger une zone d’exclusion aérienne décidée par l’ONU au-dessus de l’Arctique, à l’instar de celle érigée par l’ONU avec l’aide de l’OTAN en 2011 en Libye avec des conséquences dévastatrices pour le pays et les populations. Les répercussions de cette zone d’exclusion aérienne au sud de la Méditerranée sont aujourd’hui encore absolument dramatiques. Le pays est totalement désintégré, il n’y a plus de gouvernement fonctionnant et les habitants fuient en grand nombre en direction de l’Europe. Le but de cette zone d’exclusion aérienne était de gagner la souveraineté aérienne sur la Libye, pour mater ainsi le pays et procéder à un changement de régime. Il ne reste plus aucune trace de la protection de la population civile qu’on faisait prévaloir avant cette agression. En réalité, on a recouvert le pays de bombes et des dizaines de milliers de civils ont été tués. De cela, plus personne ne parle… sauf, bien sûr, les gens directement concernés. Mais qui s’intéresse à eux ?

Zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Russie ?

C’est donc ainsi qu’une zone d’exclusion aérienne de l’OTAN se présente. Et les forces aériennes suisses participent à un tel entraînement avec 8 avions de combats avec des Etats membres de l’OTAN que sont la Norvège, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Ce sont tous des Etats ayant participé ces deux dernières décennies à des guerres, en partie en violation du droit international, dont la plus honteuse était la guerre d’agression contre la Serbie en 1999.


Selon le communiqué de presse du DDPS, 4000 soldats participaient à ces manœuvres, pour « approfondir la coopération multinationale dans des scénarios de crises actuels […], renforcer la capacité de coopération aux niveaux opérationnel, technique et logistique (‹interopérabilité›) ». Outre les avions de combats, la Suisse était sur place avec 16 pilotes et 45 hommes de personnel au sol. Comme base juridique pour cette mission, le DDPS mentionne le «Memorandum of Unterstanding» (MOU), conclu en juin 2002 avec le royaume de Suède. Ce qui est agaçant, c’est que le commandement suprême de cet exercice n’appartient pas à la Suède, mais à la Norvège, pays membre de l’OTAN…

Officiellement, on s’est entraîné pour une « mission de paix », mais même le quotidien conservateur allemand Welt Online a déclaré le 25 mai que « la présence militaire est surtout en lien avec le domaine de la géologie […]. Ces manœuvres se déroulent sur l’arrière-plan de tensions grandissantes avec la Russie et de la rivalité concernant les richesses naturelles du sous-sol de la région polaire. » Quiconque connaît la nouvelle doctrine de l’OTAN de 1999 sait que la sécurisation de ressources naturelles peut être une raison pour une intervention militaire. Quiconque croit véritablement que cette alliance belliciste s’entraîne pour une « mission de paix », ferme les yeux devant la réalité et risque ainsi un réveil douloureux.

La critique suite à cet engagement de la Suisse fuse de tous côtés. Aux Chambres fédérales, on n’est guère enchanté de cet engagement aux côtés de l’OTAN, aux portes de la Russie.
Le spécialiste de politique de sécurité du PDC et ancien président de la Commission de politique de sécurité Jakob Büchler exprime d’abord sa compréhension pour l’entraînement à l’étranger des forces aériennes suisses, puisque il n’est plus guère possible de le faire dans notre pays. La tolérance de la population envers de tels exercices est très, très réduite. Il exprime cependant des doutes quant à l’OTAN: « Nous avons besoin de participer à de telles manœuvres, mais cela ne devrait pas se faire avec l’OTAN. L’OTAN est devenue une alliance plus agressive que défensive, phénomène que la Suisse en tant que pays neutre ne connaît pas. »

Roland Rino Büchel de l’UDC, vice-président de la Commission de politique extérieure du Conseil national, ne veut pas s’exprimer en détail, mais il trouve un tel exercice problématique: « Chaque mission commune avec l’OTAN est problématique et tout particulièrement celle-ci. »

« L’OTAN s’entraîne pour la défense de l’Arctique contre la Russie »

Le président de la Commission de politique extérieure Carlo Sommaruga (PS/GE) n’est pas opposé à des actions internationales, si elles sont bilatérales ou sous le mandat de l’ONU: « Le fait que la Suisse participe à des manœuvres internationales avec d’autres pays tels que l’Autriche, la Suède ou d’autres pays nordiques n’est pas nouveau. Mais l’intégration de la Suisse dans un exercice de l’OTAN est très problématique. Car ce n’est pas un exercice dans le cadre d’un partenariat bilatéral. Ce n’est qu’avec un mandat de l’ONU ou au niveau bilatéral que la Suisse peut faire des manœuvres avec d’autres pays. Avec l’OTAN c’est très problématique, pour cela, il faudrait une décision politique. » Le fait, que ces manœuvres aient lieu à la frontière de la Russie et qu’elles soient politiquement très critiques en raison de la situation crispée en Europe, relève pour lui en premier lieu d’un aspect géographique: « Que cela se déroule près de la Russie dépend de la position géographique de la Suède. » Mais la participation à des manœuvres de l’OTAN lui semble décidément être un pas de trop: « Premièrement, c’est problématique si ce sont des manœuvres de l’OTAN et deuxièmement, si cet exercice n’est pas orienté sur la défense, mais contre la Russie. » Qu’il s’agisse de manœuvres de l’OTAN semble évident, même si trois non-membres sont de la partie. Ainsi, Welt Online titre: « L’OTAN s’entraîne pour défendre l’Arctique contre la Russie », on ne peut guère le formuler de manière plus pertinente.

Pour le conseiller national Oskar Freysinger (UDC/VS) tout le processus est absolument inacceptable: « Ils justifient l’ensemble avec l’ONU. Mais c’est absurde. Ils font un exercice de sécurité sous le couvert de l’ONU contre un membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Au-delà du cercle polaire, il n’y a que la Russie. Il ne s’agit pas des îles Fidji. Organiser des manœuvres contre un membre du Conseil de sécurité sous le couvert de l’ONU – c’est la chose la plus absurde que je connaisse. On veut toujours plaire à l’OTAN, aux Américains. En réalité, nous nous soumettons aux Américains. Si la Suisse a un accord avec l’Italie pour faire des exercices de combats aériens au-dessus de la mer, parce qu’on ne peut pas les faire dans les Alpes valaisannes, cela ne me dérange pas, dans la mesure où ce sont des manœuvres neutres pour s’entraîner avec des avions. Mais ces manœuvres-là se font dans un certain contexte politique sensible. Cela n’est plus neutre. »

« L’OTAN a déjà mené plusieurs guerres d’agressions »

Le conseiller national Geri Müller, spécialiste de la politique extérieure des Verts, trouve des mots clairs au sujet de l’engagement des forces aériennes suisses en association avec l’OTAN. « L’entraînement au vol des forces aériennes suisses avec l’OTAN est inadmissible. L’OTAN est une alliance d’Etats ayant déjà mené plusieurs guerres d’agression, entre autre contre la Serbie. Et maintenant cette entourloupe à la frontière de la Russie ? Cela peut énormément nuire à nos relations avec la Russie. »
Dans les cercles diplomatiques russes, on est assez étonné que la Suisse participe en tant que pays neutre à de telles manœuvres. On se montre compréhensif sur le fait que les forces aériennes suisses doivent s’entraîner en dehors du pays et qu’elles le fassent avec d’autres pays, mais de s’entraîner selon un scénario de guerre à la frontière de la Russie avec des pays de l’OTAN est autre chose. Il semble que cela pèse sur la relation entre la Suisse et la Russie et notre pays risque de perdre à la légère la confiance développée pendant sa présidence de l’OSCE.
Oskar Freysinger demande que la Suisse s’efforce à améliorer sa relation avec la Russie: « Il faudrait négocier un accord de libre-échange avec la Russie. Nous devrions devenir un partenaire privilégié de ce pays. Nous pourrions ainsi promouvoir de nombreux intérêts économiques, mais nous avons toujours peur. On dit toujours, les Etats-Unis sont nos amis, pourtant ils nous ont refilé depuis les années 90 que des œufs pourris. Les Russes ne l’ont jamais fait. Maintenant, il faudrait miser sur un accord de libre-échange, sur un monde multilatéral, et les Russes en font partie. Nous sommes un pays libre. »

Un retrait du PPP – mieux aujourd’hui que demain ?

Thomas Kaiser. En 1996, la Suisse fut intégrée à la suite d’une «opération commando» dans la sous-organisation de l’OTAN appelée «Partenariat pour la paix» (PPP). Les conseillers fédéraux d’alors Flavio Cotti (DFAE) et Adolf Ogi (DDPS) signèrent la déclaration d’adhésion sans l’avoir soumise au débat parlementaire. Les Etats-Unis avaient créé le PPP au sein de l’OTAN, pour lier à l’OTAN les anciens Etats du bloc de l’Est ainsi que les Républiques soviétiques et pour les préparer successivement à l’adhésion complète. Cela s’est fait bien que les Etats-Unis avaient promis à Gorbatchev de ne pas s’étendre davantage vers l’Est. Cette participation au PPP n’est en réalité pas conciliable avec la neutralité de la Suisse. Après la fin de la guerre froide et la naissance d’un monde unipolaire, la neutralité n’avait, pour une majorité du Conseil fédéral, plus la signification qu’elle avait lors de la guerre froide. Au cours des dernières années, la situation géopolitique a cependant changé fondamentalement. Le monde unipolaire s’est développé vers un monde multipolaire, ce que les Etats-Unis, en tant qu’ancien hégémon, ne peuvent que difficilement accepter. Dans cette situation, la neutralité de la Suisse a la plus grande priorité. Elle seule peut servir de manière convaincante d’intermédiaire entre les blocs. Cela n’est réellement crédible que si la Suisse se retire du PPP: mieux aujourd’hui que demain.

Evi Allemann est-elle fixée sur l’OTAN ?

Thomas Kaiser. Pendant que tout l’échiquier politique critique la participation de la Suisse aux manœuvres de l’OTAN en Suède, la conseillère nationale socialiste et «spécialiste en sécurité» Evi Allemann trouve, selon la «Aargauer Zeitung» du 26 mai, que «la coopération avec l’étranger ne va pas assez loin». Elle parle de l’«élargissement de missions multinationales». Mme Allemann c’était fortement engagée contre l’achat de nouveaux avions de combat «Gripen», entre autre en déclarant que la Suisse pourrait en cas de menaces collaborer davantage avec l’UE ou l’OTAN. C’est réellement une vue assez bizarre de la souveraineté du pays.

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