Afghanistan

Afghanistan: situation catastrophique en vue

par Matin Baraki *

A la fin de ce qui fut appelé le socialisme réel, l’impérialisme américain déclara être le seul pays dominant dans le monde et décréta que toute la région eurasiatique faisait partie de sa sphère d’intérêt à laquelle il voulait avoir un accès illimité. Ainsi fut définie la direction à prendre pour les futures guerres impérialistes. L’Afghanistan fut la première victime de cette agression. La guerre contre ce pays avait été planifiée neuf mois avant le 11 septembre 2001, selon la «Washington Post». Le 11 septembre ne fut que le déclencheur recherché. S’il n’avait pas eu lieu, on aurait dû l’inventer. A partir du 7 octobre 2001, l’armée américaine se mit à bombarder ce pays dans la région de l’Hindou Kouch. Le régime des talibans fut vaincu dans les quatre semaines suivantes. Les néoconservateurs autour de George W. Bush, Dick Cheney, Paul Wolfowitz, Donald Rumsfeld voulurent toutefois mener à bien aussi rapidement que possible leur stratégie de «Greater Middle East» (GME), prévoyant de soumettre au contrôle des États-Unis l’entière région de l’Afrique du Nord au Bengladesh.

La réussite de l’armée américaine dans l’Hindou Kouch ouvrit toutes grandes les portes pour la guerre contre l’Irak en 2003. Lorsque George W. Bush déclara la guerre en Irak terminée, les talibans étaient à nouveau pleinement actifs dans l’Hindou Kouch. La résistance en Irak prit également de l’ampleur. C’est alors que l’impérialisme américain fut déjà confronté à la limite de ses capacités militaires. L’Orient n’est pas cette Amérique latine, où les Etats-Unis purent agir à leur guise pendant des siècles.

L’OTAN a, sous la direction des États-Unis, engagé au cours des 14 dernières années environ 150.000 soldats dans la région de l’Hindou Kouch. La résistance, étiquetée sous la dénomination de «taliban», put être repoussée mais jamais vaincue définitivement. Bien au contraire. La prise très rapide de Kunduz, la capitale provinciale du nord de l’Afghanistan (auparavant secteur d’occupation allemande) le 28 septembre 2015 par la résistance islamique fut une triple défaite pour l’administration de Kaboul et pour les occupants de l’OTAN, soit une défaite politique, morale et militaire.
Politiquement, parce que les occupants sont honnis par les habitants afghans, qui par contre accueillent volontiers les Talibans. Moralement, parce que l’administration afghane est considérée comme le caniche des États-Unis et les soldats de l’OTAN comme les assassins de milliers de civils afghans. Militairement, parce que l’OTAN n’a pas réussi, en 14 ans de guerre et avec 150.000 hommes, à stabiliser le pays. Le ministère des Affaires étrangères allemand a constaté récemment dans un rapport confidentiel «de grandes lacunes sécuritaires et des violations des droits humains» dans l’Hindou Kouch.

Le bombardement du 28 septembre 2015 de l’hôpital des «Médecins sans frontières» (MSF) par les occupants américains, calcinant les malades dans leurs lits et tuant des médecins restera marqué dans l’histoire du pays comme l’un des nombreux crimes commis par les occupants de l’OTAN et des États-Unis. «Médecins sans frontières» considère qu’il s’agissait d’un crime de guerre.
Le 8 décembre 2015, les talibans ont déclenché une action de commando dans l’aéroport de la ville de Kandahar situé à environ 16 kilomètres et se sont emparés d’otages, selon les déclarations du porte-parole du gouverneur de la province de Kandahar, Samim Chpalwak. Selon lui, les combats se déroulèrent essentiellement dans la partie militaire de l’aéroport, où se trouve le quartier général de l’armée d’occupation américaine.

Plusieurs «martyres dotés d’armes lourdes et légères» s’étaient introduits dans les bâtiments de l’aéroport pour attaquer les «troupes de l’envahisseur», selon une déclaration des talibans. Au cours des combats qui durèrent 27 heures, au moins 61 personnes perdirent leur vie, dont les 11 assaillants, selon les agences de presse afp et dpa de Kaboul. Par la suite le chef des services secrets afghans Rahmatollah Nabil a démissionné. Donc, une fois de plus, des Afghans meurent des deux côtés pour les objectifs stratégiques des occupants.

Selon un rapport de la Bundeswehr «Vues sur la situation sécuritaire 2016», il semblerait que les talibans prépareraient une nouvelle offensive après la pause hivernale. Dans ce rapport, on accorde aux talibans une «nette amélioration de leur conduite des combats». Ils seraient capables de «mieux coordonner» leurs activités et de former de plus grands groupes. Ceci de concert avec la crainte exprimée d’un effondrement de l’armée afghane, mise en place entre autre par l’armée allemande. On ne voit donc pas la fin de la débâcle des troupes de l’OTAN en Afghanistan.

Même le renforcement des troupes de l’OTAN d’environ 12.000 hommes, dont 10.000 soldats américains et 980 membres de la Bundeswehr (à l’origine, il en était prévu 850) ne réussit pas à stabiliser la situation dans l’Hindou Kouch. La prise de Kunduz a démontré que les forces afghanes sont plus disposées à fuir qu’à combattre, aussitôt qu’elles se heurtent à une résistance. Elles ne se décident à combattre, faute de mieux, que lorsque des instructeurs de l’OTAN interviennent pour les forcer à attaquer les talibans. L’administration de Kaboul se trouve comme jamais, tant sur le plan national qu’international, en pleine crise de légitimation. Elle se trouve au bord de l’effondrement. Les chefs de guerre, oubliés lors de la répartition des postes, notamment le plus grand criminel de guerre et agent idéologique du wahhabisme saoudien Abdul Rasul Sayyaf, le chef de guerre de la prétendue Alliance du nord, Mohammad Junus Qanuni et le chef de guerre de la province occidentale de Herat, Ismael Khan ont conclu une alliance du nom de «Schora-e Harasat wa Subat Afghanistan» [Conseil pour le maintien et le renforcement de l’Afghanistan]. Cela signifie que l’espace d’action pour des réformes et une réconciliation avec les Talibans se rétrécit comme une peau de chagrin tant pour l’OTAN que pour l’Allemagne, alors que c’est une condition pour la poursuite du soutien à l’administration de Kaboul. Ce «conseil» des chefs de guerre torpille les négociations avec les talibans. Ceux-ci ont déjà fait savoir que s’il y a une participation de ce «conseil» au gouvernement, ils mettraient sur la table les dossiers des chefs de guerre et des politiciens corrompus afin de les poursuivre en justice.

La résistance avance à grands pas, en hiver comme en été. Dans l’ensemble, on peut caractériser la situation en Afghanistan comme s’approchant d’une réelle catastrophe. Alors que d’un côté les Talibans occupent presqu’entièrement les provinces du Sud, habitées par les Pachtounes, particulièrement le Helmand et Kandahar, de même que dans les provinces du Nord, telle que Kunduz, l’État islamique (EI) de son côté s’installe de plus en plus dans les deux provinces orientales de Nangarhar et Nuristan.

Le président de Kaboul, Ashraf Ghani, est faible et donc incapable de mettre un frein à la déstabilisation progressive du pays. L’armée afghane «Afghan National Army» (ANA) souffre de grosses pertes dans ses combats contre les Talibans et l’«Afghan National Police» (ANP) se montre incapable de prendre le contrôle des régions en question et doit se contenter de constater le «fait accompli» concernant la domination des talibans. Certains gouverneurs de districts renoncent dès leur nomination à prendre en charge leur fonction et préfèrent rester à Kaboul.

Le fait de renoncer au retrait des troupes, décidé par l’administration Obama ainsi que par l’Allemagne comme l’envoi de nouvelles troupes ne freineront pas la catastrophe se dessinant en Afghanistan. Cela, nonobstant le fait que les Talibans ne seront pas en mesure de revenir triomphant à Kaboul. Ils peuvent toutefois entreprendre des activités militaires dans n’importe quelle partie du pays et provoquer ainsi une déstabilisation constante. On peut sans doute parler d’une impasse. Une prise de pouvoir des Talibans n’est actuellement guère possible tant du point de vue national qu’international. Ni certaines parties de la population, ni les chefs de guerre, ni l’OTAN ne l’accepteraient. Cela permettrait de trouver une alternative à la présence de l’OTAN.

Quiconque souhaite la paix et la stabilité dans l’Hindou Kouch doit remplacer les unités de l’OTAN par celles d’Etats musulmans et d’Etats du mouvement des non-alignés, dotés d’un mandat de l’ONU. Cela permettrait de trouver les conditions d’une réconciliation à l’intérieur du pays et l’engagement de négociations de paix.

Il n’y a jamais eu de solution miliaire pour l’Afghanistan, il n’y en a pas et il n’y en aura pas. Cela est prouvé par 14 années de guerre de l’OTAN dans la région. Le tissu social du pays a été entièrement détruit. Il est grand temps de mener une politique de paix et non de guerre.

(Traduction Horizons et débats)

* Matin Baraki est politologue et traducteur allemand-afghan. Après avoir été formé comme mécanicien de précision, il poursuivit des études de pédagogie à Kaboul et se lança dans l’enseignement. De 1970 à 1974, il fut assistant technique à la faculté des sciences naturelles de l’Université de Kaboul. En 1974, il se rendit en Allemagne et fut reçu en 1995 à l’Université Philipps de Marbourg. Il y développa, par la suite, une carrière de sciences politiques orientée vers la politique internationale, tant à Marburg qu’à Giessen, Kassel et Münster.

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