Rencontre avec Denis Pouchiline, numéro deux de la République Populaire de Donetsk

Interviewé par Xavier Moreau, analyste et fondateur de Stratpol, Denis Pouchiline, Président du Conseil populaire de la République populaire de Donetsk et négociateur à Minsk pour les deux Républiques populaires, nous a livré sa vision de la situation actuelle et de l’avenir du Donbass.

Il a tenu à souligner que les autorités ukrainiennes ont tout fait pour pousser le Donbass à quitter l’Ukraine. Le blocus économique privant, par exemple, la région de Hryvnias les a poussés à devoir adopter le Rouble comme monnaie pour lever les impôts ou payer les pensions. Les lois ukrainiennes ne s’appliquant plus, les deux Républiques populaires ont du mettre en place des structures étatiques et des lois afin de gérer la région.

La population ayant à cœur l’état de sa capitale, cette dernière est nettoyée tous les jours depuis le début de la guerre, et est actuellement plus propre qu’à l’époque de l’Ukraine. D’une manière assez ironique, la République populaire de Donetsk a réalisé les idéaux au Maïdan en chassant la corruption et les oligarques qui pillaient les finances publiques de la région, permettant aux fonds récoltés d’être utilisés pour améliorer l’état de la ville et la situation de la population.

À la question épineuse du retour futur au sein de l’Ukraine et de l’avenir du Donbass au sein de celle-ci, Denis Pouchiline rappelle que :

« Nous avons les accords de Minsk. Mais en deux ans, Kiev n’a pas respecté un seul des points qu’ils ont signés. Lors des discussions à Minsk, l’Ukraine repousse sans cesse les échéances. Lorsque nous avons presque un accord, ils reçoivent un coup de téléphone [des USA] et tout est annulé. Le but des USA est de geler le conflit. Ils veulent jouer la montre en pensant que la Russie va s’effondrer comme l’URSS avant elle. Ils ont besoin d’une victoire, or ils n’en ont aucune. Aujourd’hui la situation est confortable pour les USA : ni guerre, ni paix. Ce n’est plus une guerre comme au début, où nous avions des centaines de morts par jour. Mais ce n’est pas la paix, car tous les jours des obus tombent sur le territoire de la République. Et cela va durer encore longtemps. »

Denis Pouchiline a aussi dénoncé le non-sens des récentes déclarations de la partie ukrainienne annonçant que Minsk-2 n’étant pas applicable, il faudrait aller vers des accords de Minsk-3. Pour lui il y a un document signé (Minsk-2) qui doit être appliqué, et seulement après, s’il faut négocier un autre accord alors ce sera fait. Mais, pour lui, il est hors de question de sortir de Minsk-2, sous prétexte que l’Ukraine n’arrive pas à l’appliquer. Il a aussi tenu à souligner que Porochenko cherchait à éviter une négociation directe avec les deux Républiques populaires, car cela lui vaudrait la haine des radicaux, qu’il craint, et dont il a besoin.

En effet, les autorités actuelles de Kiev sont montées au pouvoir grâce à ces radicaux qui constituent aujourd’hui 11 bataillons spéciaux. Si les autorités de Kiev appliquent les accords de Minsk, cela revient à trahir ces radicaux qui, comme l’an dernier, sont prêts à tuer en lançant une grenade dans la foule, plutôt que de voir la Rada voter les lois permettant d’appliquer les accords de Minsk. Et beaucoup craignent une épuration ethnique après la réintégration du Donbass dans l’Ukraine, suite aux déclarations de certains radicaux, dont des conseillers de Porochenko, prônant l’application de la solution Croate au Donbass. Les autorités des Républiques populaires font donc tout pour éviter que se répète l’exemple de la Krajina serbe une fois le Donbass réintégré au sein de l’Ukraine. Pour Denis Pouchiline le conflit ne sera pas réglé en un an ou deux, mais plutôt dans une dizaine d’années, ce qui compliquera encore plus la situation.

Il a aussi battu en brèche l’idée selon laquelle Porochenko aurait signé les accords de Minsk pour sauver son armée à Debaltsevo. En réalité c’est sa peau que le président ukrainien a sauvé en signant ces accords :

« Au matin du 12 février, alors qu’on était d’accord sur tout, Zakharchenko a proposé de signer un papier pour créer un corridor permettant d’évacuer les FAU de Debaltsevo. La réponse de Porochenko fut que tout allait bien et qu’il n’y avait pas besoin de cela. Ça a duré une heure et il a refusé de signer. »

Il a aussi confirmé que les pertes de l’armée ukrainienne a Debaltsevo étaient largement supérieures (d’environ 10 fois) aux pertes officiellement annoncées par les autorités ukrainiennes (3000 morts). Selon lui, l’armée ukrainienne a déclaré comme déserteurs beaucoup de ces morts afin de ne pas avoir à payer de pension à leurs familles.

La moitié du Donbass étant occupée par l’armée ukrainienne, la question de l’avenir du projet politique de la Nouvelle Russie (Novorossia) se pose, et Denis Pouchiline a tenu à rassurer les autres régions du Sud-Est de l’Ukraine :

« Si nous étions égoïstes, nous demanderions le rattachement à la fédération de Russie. Mais nous nous sentons responsables de la Nouvelle Russie. D’Odessa, Kherson, Zaporojié et les autres villes. Donc nous devons régler cela par la négociation. Beaucoup chez nous ne comprennent pas que nous devons discuter avec l’Ukraine. Nous ne voulons pas abandonner la Nouvelle Russie. Il y a toujours un projet politique de Nouvelle Russie. Nous n’avons pas oublié les autres régions et nous sommes prêts à les soutenir. Nous sommes même prêts à inclure leurs prisonniers dans nos échanges de prisonniers avec Kiev. »

Les récentes lignes directes du président Aleksander Zakharchenko avec Kharkov et Odessa s’inscrivent d’ailleurs dans ce processus politique de libération de cette partie de l’Ukraine. Le dialogue avec ces régions étant essentiel afin de leur rappeler que la République populaire de Donetsk ne les a pas oubliées.

Denis Pouchiline a aussi souligné l’importance du processus politique de résolution du conflit, en indiquant clairement que la RPD ne souhaitait pas devoir en venir à la solution militaire, mais que si tel était le cas :

« Nous pourrions résoudre le conflit de manière militaire, mais ce sera au prix de lourdes pertes. Les autorités de Kiev peuvent s’enfuir en avion pour se mettre à l’abri, mais pas la population civile, qui sera la première sacrifiée. Lorsque nous avons repris Debaltsevo, ou lorsque nos ennemis se replient, ils détruisent tout. Cela consomme une grosse part de nos ressources pour rétablir l’eau, le chauffage et l’électricité. Et il ne s’agit là que de petites villes. Si nous devons libérer militairement de grosses villes comme Odessa ou Kharkov, qui comptent des millions d’habitants, ce sera un carnage. Mais si le président ukrainien veut résoudre le conflit militairement, alors nous contre-attaquerons et leur montrerons de quoi nous sommes capables. »

Xavier Moreau a terminé cette interview sur la question polémique des lois LGBT qui commencent à être adoptées en Ukraine, et le programme 2020 des droits de l’homme pour l’Ukraine qui prévoit la mise en place du mariage homosexuel. À la question de savoir ce qui se passera si le Donbass réintègre l’Ukraine, la réponse de Denis Pouchiline est on ne peut plus claire, et rejoint la réponse d’Aleksander Zakharchenko à cette même question :

« Nous ne serons jamais d’accord avec çà ! S’ils veulent faire cela ailleurs c’est leur problème. Nous sommes chrétiens. Nous aimons nos femmes et nos femmes nous aiment. Nous ne l’accepterons jamais.Nous ne serons jamais d’accord avec çà ! »

Christelle Néant

Sources:

DONi Press & STRATPOL

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