Karl Müller
Dans le contexte des élections réussies du président russe et de la future Coupe du monde de football en Russie, les reproches contre le pays et son président ont pris des proportions dépassant largement ce que nous connaissions pendant la première guerre froide. Que veulent-elles, les élites politiques de l’OTAN et de l’UE ? Pourquoi continuent-elles à alimenter l’escalade ? Que doit-on préciser concernant la genèse de ce conflit ? Il est grand temps de revenir à la raison !
Bien qu’au cours des dernières années, plusieurs auteurs étrangers et suisses ont fourni d’autres informations,1 la plupart des élites politiques des États membres de l’OTAN et de l’UE s’obstinent à prétendre que la Russie doit être présentée comme un agresseur malveillant, auquel le «monde libre» doit s’opposer avec force. Si ces «élites» rencontrent des objections, à l’instar du politicien de la CDU et parlementaire européen Elmar Brok dans une émission radiophonique au Deutschlandfunk du 19 mars 2018, elles retombent toujours dans des grossièretés, des injures et des comportements autoritaires. Leurs messages sont primitifs et ils savent qu’ils disent des contrevérités, mais leur grossier slogan «Ça suffit !» sert à intimider et réduire au silence d’autres opinions. Ils sont secondés par la plupart des «grands» médias et par des «experts» complaisants. La propagande permanente contre la Russie et notamment contre son président Poutine venant d’être réélu a pris des traits paranoïaques. Toutefois, cette paranoïa poursuit un but.
Que s’est-il réellement passé ?
C’est pourquoi il faut toujours rappeler le développement des faits, même si ceci ressemble à une répétition permanente. Les efforts entrepris par les ennemis de la Russie pour taire et dissimuler les réelles causes du conflit sont énormes. Toute pensée historique est évincée, des flashes chargés d’émotions ont pour objectif de faire taire la raison.
En réalité, il faudrait remonter dans l’histoire – ce que fait une partie des auteurs – et éclairer la stratégie des puissances mondiales britannique et américaine au cours des 150 dernières années. Ici, nous pouvons uniquement rappeler certains développements ayant suivi la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’Union soviétique – et ceci uniquement de manière rudimentaire.
Après la fin présumée de la guerre froide est née parmi un grand nombre de personnes, l’espérance d’une vie commune en paix, en liberté et en égalité. La Déclaration de Paris de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europa (CSCE, aujourd’hui OSCE) adoptée en novembre 1990 l’a très bien exprimé, en ce temps-là avec la participation de l’Union soviétique.
Depuis 1991, les États-Unis aspirent à être la seule grande puissance au monde
Avec la deuxième guerre du Golfe de 1991 déjà, la direction politique et militaire des États-Unis a démontré à quoi elle aspirait véritablement: un «nouvel ordre mondial» selon les idées américaines et l’accès du pays aux principales réserves de matières premières de notre planète. Depuis 1991, les États-Unis poursuivent l’idée fixe de devenir une hégémonie et donc la seule grande puissance au monde. Ce n’est donc pas un hasard que le livre de l’ancien conseiller en matière de sécurité nationale, Zbigniev Brzezinski, paru en 1999 soit intitulé «Le Grand Échiquier – L’Amérique et le reste du monde». Le titre allemand «Die einzige Weltmacht» [La seule grande puissance au monde] n’exprime aucune critique, mais décrit très exactement les ambitions américaines bien acceptées en Occident. Les autres pays n’avaient qu’à se soumettre. Le fait que le projet des néoconservateurs américains proposé à la fin des années 1990 fut intitulé «Project for a New American Century» (PNAC) s’inscrit parfaitement dans ce concept.
La Russie a vécu la pire phase de son histoire
Cela concerna également les États successeurs de l’Union soviétique, dont la Russie. Les États-Unis revendiquèrent les énormes quantités de matières premières russes, le pays fut soumis à une «stratégie du choc» (selon Naomi Klein2) définie par la politique radicale de marché. Les ONG et les médias américains et occidentaux tentèrent par tous les moyens d’influencer l’opinion publique du pays, on soutint des séparatistes islamistes violents et développa des projets pour la division du pays. Ce qu’il fallait à tout prix éviter, en correspondance avec les plans géopolitiques des Anglo-Saxons du début du XXe siècle, était la constitution – sur le continent eurasiatique (Europe et Asie) – d’un contre-pouvoir indépendant des États-Unis (et de leurs «alliés» anglo-saxons), par exemple sous forme d’une étroite collaboration des autres États européens – notamment de l’Allemagne et de la France – avec la Russie. Sous le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, la partie russe avait déjà parlé d’une «maison européenne commune». Cela dut être empêché par tous les moyens.
La première présidence de Poutine marque un tournant
La décennie entre 1990 et 2000 fut l’une des pires de l’histoire du pays et la Russie dut elle-même payer un prix très élevé. Au début du nouveau millénaire, la politique du nouveau président Vladimir Poutine changea la donne. La partie américaine réalisa cela très rapidement. Déjà au début de ce nouveau siècle, Zbigniev Brzezinski pesta dans ses articles et interviews contre le nouveau président russe et sa politique, «rappelant» à la Russie de ne pas quitter le rôle qui lui était assigné et d’abandonner toute velléité d’être acceptée en tant que puissance se trouvant sur un même pied d’égalité. Dans les États baltes, des hommes politiques néoconservateurs du gouvernement de Bush junior vinrent pour dénigrer la Russie. Auparavant déjà, les pays baltes et d’autres anciens membres du Pacte de Varsovie étaient prévus comme membres de l’OTAN et de l’UE et on commença rapidement à les «intégrer» pas à pas. La frontière de l’OTAN se rapprocha de la Russie, et même dans les anciennes républiques constitutives européennes et asiatiques de l’Union soviétique, les États-Unis promurent des «révolutions colorées» pour faciliter l’accès au pouvoir de régimes antirusses.
Discours de Vladimir Poutine à Munich en 2007
Le discours du président russe tenu dans le cadre du «Forum de Munich sur les politiques de défense» en février 2007 marqua un tournant manifeste dans les rapports entre l’Est et l’Ouest3. Vladimir Poutine déclara sans la moindre ambigüité que la Russie exigeait d’être placée sur un même pied d’égalité que tous les autres États de la communauté internationale, qu’elle exigeait le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international public et qu’elle n’était plus disposée à accepter la politique des États-Unis et de l’OTAN ne respectant plus aucun principe juridique. Pro memoria: après une décennie de déstabilisation de la Yougoslavie, l’OTAN a mené en 1999, en violation du droit international, une guerre contre la République fédérale de Yougoslavie, liée à la Russie, et les États-Unis ont construit au Kosovo l’immense base militaire Camp Bondsteel, dirigée contre la Russie.
En 2001, après le début de la guerre de l’OTAN contre l’Afghanistan, dans laquelle la Russie a au début offert son assistance, la Russie a été inondée de stupéfiants afghans. Cette même année, les États-Unis se sont retirés du traité ABM [Anti-Balistic Missile], parce qu’ils voulaient absolument installer leur système anti-missiles, dirigé dès le début contre la Russie, en Europe orientale. La même année, le gouvernement américain a déclaré la guerre illimitée «contre le terrorisme» et contre le présumé «axe du mal». En 2003, sous la direction des États-Unis une «coalition des bonnes volontés» a lancé une guerre illégale au regard du droit international contre l’Irak. En 2004, il y eut la première tentative d’un coup d’État en Ukraine («révolution orange») … et ainsi de suite.
Le chaos au Proche-Orient fait partie du plan de déploiement
La situation délétère au Proche-Orient a également à faire avec la relation entre l’Occident et la Russie. Aktham Suliman, dont le livre «Krieg und Chaos in Nahost» [Guerre et chaos au Proche-Orient] a été présenté dans Horizons et débats no 6 du 19/3/18, analyse dans son dernier chapitre la finalité du chaos créé par les États-Unis et ses alliés: pour lui, toutes ces activités décrites ne poursuivent qu’un seul but: préparer une «troisième Guerre mondiale» – contre la Russie.
Les États-Unis, l’OTAN et l’UE n’ont pas pris au sérieux les avertissements du président russe de 2007. Tout au contraire: Les États-Unis, l’OTAN et à leur suite l’UE ont maintenu leur objectif d’affaiblir et d’exclure la Russie4 – malgré toutes les bonnes affaires qu’on a bien sûr conclu sans sourciller. Longtemps avant 2014, certaines personnes exposées, tel Brzezinski, ont comparé le président russe à Hitler et Staline.5 D’autres foyers d’incendie et de terres brûlées ont suivi, provoqués en grande partie par des États membres de l’OTAN et de l’UE: Géorgie, Libye, Syrie, Yémen, Ukraine … Peu de choses de ce que nos «élites» politiques et leurs médias alignés nous expliquent concernant ces pays correspondent à la vérité. Il s’agit toujours de toute autre chose – et malheureusement, il ne se manifeste toujours et encore aucune tendance contraire.
Ne serait-il pas mieux de résoudre ses propres problèmes plutôt que de jouer avec le feu ?
Il est intéressant de constater qu’au cours des 25 dernières années, les ennemis de la Fédération de Russie ont agi d’une position militaire dominante, tout en étant eux-mêmes confrontés à de gros problèmes sociaux et économiques et à une décomposition socio-culturelle massive. La liste qu’on pourrait dresser serait longue. Ne serait-il pas mieux de déployer toutes nos forces pour résoudre les problèmes de nos propres pays – de manière solide, sincère et non pas au détriment des autres –, au lieu de jouer avec le feu ?
1 Un choix en français: Mettan, Guy. Russie-Occident. Une guerre de mille ans. 2015; Kassis,Randa. La Syrie et le retour de la Russie. 2017; Stone, Oliver. Conversations avec Poutine. 2018.
Un choix en allemand: Bröckers, Mathias; Schreyer, Paul. Wir sind die Guten. Ansichten eines Putinverstehers oder wie uns die Medien manipulieren. 2014; Thoden, Ronald; Schiffer, Sabine (Hg.). Ukraine im Visier. Russlands Nachbar als Zielscheibe geostrategischer Interessen. 2014; Krone-Schmalz, Gabriele. Russland verstehen. Der Kampf um die Ukraine und die Arroganz des Westens. 2015; Hofbauer, Hannes. Feindbild Russland, Geschichte einer Dämonisierung. 2016; Wimmer, Willy. Die Akte Moskau. 2016; Krone-Schmalz, Gabriele. Eiszeit. Wie Russland dämonisiert wird und warum das so gefährlich ist. 2017; Kronauer, Jörg. Meinst Du, die Russen wollen Krieg? Russland, der Westen und der zweite Kalte Krieg. 2018.
2 Klein, Naomi. La Stratégie du choc: la montée d’un capitalisme du désastre. 2008; un chapitre entier y est consacré à la situation de la Russie.
3 Avant l’entrée en fonction de Vladimir Poutine, la Russie n’était déjà plus d’accord avec la politique des États-Unis et de l’OTAN. Ceci fut illustré dès le début de la guerre d’agression, illégale au regard du droit international, de l’OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie en mars 1999. Au début de la guerre, Evguéni Primakov, alors président du gouvernement de la Fédération de Russie, était en route pour les États-Unis. Lorsqu’il eut connaissance de cette violation flagrante du droit international par l’OTAN, il a toute suite interrompu son voyage.
4 C’est exactement ce que le secrétaire d’État au Ministère allemand de la Défense et ancien vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE Willy Wimmer a dû constater avec effroi déjà en avril 2000 en tant que participant à une conférence dans la capitale slovaque de Bratislava. Sa lettre de l’époque, adressée au Chancelier fédéral allemand Gerhard Schröder, est une source fondamentale de l’histoire contemporaine. On la trouve à l’adresse Internet: https://www.nachdenkseiten.de/?p=22855
5 Par exemple lors d’une interview publiée dans le quotidien allemand «Die Welt» du 11/8/08: «Zbigniew Brzezinski: ‹Le procédé russe ressemble à celui de Hitler.›»