La Russie reste «un cliché ennemi» lors de la rencontre des ministres de la Défense à Bruxelles.
par Karl Müller
Lors de leur réunion du 14 juin, les ministres de la Défense de l’OTAN ont décidé de renforcer leur coopération militaire avec le gouvernement de l’Ukraine, de multiplier les engagements au-delà des frontières des Etats membres de l’OTAN et de déployer des troupes de l’OTAN – 4 bataillons avec chacun 1.000 soldats avec leurs équipements – dans 3 Etats baltes et en Pologne. Les décisions prises seront entérinées lors de la rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’OTAN à Varsovie les 8 et 9 juillet.
Ces décisions étaient accompagnées d’un vocabulaire constamment dirigé contre la Russie, particulièrement de la part du secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg. Ce dernier affirma lors d’une conférence de presse du 14 juin, après la réunion de la Commission OTAN–Ukraine, que la guerre en Ukraine orientale avait été provoquée uniquement «par des activités russes». Dans le journal allemand «Bild», il justifia le 15 juin la présence des nouvelles troupes de l’OTAN pour les États baltes et la Pologne uniquement avec des motifs de défense: «Nous voulons montrer à nos partenaires que nous sommes présents, quand ils ont besoin de nous. Et nous voulons montrer aux agresseurs potentiels que nous réagissons, quand ils nous menacent.» Selon Stoltenberg, la menace vient de la Russie: «Le stationnement de troupes à l’Est est une réaction adéquate aux démarches agressives de la Russie.»
Le gouvernement russe avait auparavant déjà rendu attentif au fait que l’OTAN, de concert avec l’Ukraine, avait lancé une longue série de manœuvres militaires directement à la frontière russe – depuis la mer Baltique jusqu’à la mer Noire. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergej Lavrov, a déclaré, selon l’agence russe Sputniknews du 6 juin, qu’on voyait le rapprochement des troupes de l’OTAN et de leur technique militaire le long de la frontière russe comme une menace principale. Toutefois, cela ne signifiait pas que la Russie allait attaquer un État membre de l’OTAN: «Notre doctrine de sécurité définit clairement que l’une des menaces principales est l’expansion continue de l’OTAN vers l’Est. Je tiens une nouvelle fois à souligner que nous ne considérons pas l’OTAN en soi comme une menace, mais la façon dont se comporte cette alliance militaire dans la pratique.» Et Lavrov d’ajouter: «Je suis convaincu que les politiciens sérieux et honnêtes sont parfaitement conscients que la Russie n’attaquera jamais un État membre de l’Alliance atlantique. Nous ne disposons d’aucun plan allant dans ce sens. Je pense que l’OTAN le sait pertinemment, mais qu’elle utilise la situation pour déployer davantage de technique militaire et de bataillons – afin d’assurer une surveillance continue des États-Unis dans cette région.
En portant un regard sur les textes fondateurs de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, on y trouvait déjà à l’époque dans les deux documents la paix comme seul intérêt ainsi que les faits de se tenir entièrement à l’esprit de la Charte des Nations Unies, d’éviter toute guerre et de créer des alliances militaires uniquement en cas de nécessité de se défendre ou de pratiquer la dissuasion puisqu’il y a d’autres puissances ayant des intentions agressives. On ne peut toutefois éviter de confronter ces belles paroles aux faits concrets de l’histoire et du présent – et à tout ce qui s’est passé et se passe dans le monde.
Hannes Hofbauer, historien, auteur et éditeur autrichien, a publié début 2016 un nouveau livre intitulé «Feindbild Russland. Geschichte einer Dämonisierung» [La Russie, un cliché ennemi. Histoire d’une diabolisation] (ISBN 978-3-85371-401-0). On trouve dans ce livre de nombreuses indications concernant les faits et la manière dont l’Occident forme les esprits contre la Russie. Le livre parle aussi des trois dernières années en Ukraine et démontre à quel point les affirmations des instances occidentales («annexion» russe de la Crimée, manœuvres bellicistes en Ukraine orientale), à l’instar de celles affirmées récemment à Bruxelles par le secrétaire général de l’OTAN, ne correspondent pas à la réalité et n’ont qu’un seul objectif: déformer la réalité pour créer un cliché ennemi de la Russie.
Comment se fait-il qu’en Occident, certains pensent toujours et encore que les populations ont oublié qui avait déclaré, après l’effondrement de l’URSS, vouloir être la «seule puissance mondiale», et quels crimes ont été perpétrés pour atteindre ce statut et pour le préserver ? Hannes Hofbauer démontre que l’histoire de «La Russie, un cliché ennemi» n’a pas débuté qu’en 1991, mais remonte à des temps lointains. Il est certain qu’à l’avenir les tensions vont augmenter si les responsables de l’OTAN (et de l’UE) continuent à se comporter comme au cours de ces 25 dernières années.
L’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a une nouvelle fois demandé de changer de cap. Lors d’une conférence, devant la Chambre de commerce allemande à Salzburg début juin, il a à nouveau affirmé qu’il n’approuvait pas les sanctions de l’UE envers la Russie. Ce qu’il nous faut, c’est une réelle politique de détente envers la Russie. L’Europe a besoin de la Russie notamment à cause de la politique de sécurité. C’est ce qui la différencie des Etats-Unis. Et le journal ««Salzburger Nachrichten» du 11 juin de souligner encore une réflexion importante de Gerhard Schröder: «Ce fut une erreur grave, dénotant un manque total de sensibilité, que d’avoir confié à l’Allemagne le commandement des unités de l’OTAN à la frontière russe, précisément dans l’année de commémoration de l’agression allemande contre l’Union soviétique en juin 1941.»
Source: Horizons & débats