Histoire d’une campagne médiatique: l’affaire des Casques blancs syriens à Genève

Guy Mettan,* directeur exécutif du Club de la presse de Genève et président de l’Association internationale des Press Clubs

Les récents conflits qui ensanglantent la planète, du Donbass à la Syrie, de l’Afghanistan à la Libye, ont popularisé la notion de guerre hybride. Désormais les guerres ne se limitent plus à un «banal» combat militaire mais se livrent sur tous les plans, militaire, civil, médiatique, économique, social et religieux. La guerre classique, avec hélicoptères, drones téléguidés et kalachnikovs, se double toujours d’une guerre de l’information auprès des opinions publiques par les pays qui télécommandent ces conflits à distance, très loin du front, soit, avant tout, nos démocraties occidentales.

Le conflit syrien, qui dure depuis sept ans et qui recourt à toutes les formes de guerre hybride moderne, est un modèle du genre. En décembre dernier, il a brusquement fait irruption sur la scène suisse, à travers un événement d’apparence banal, à savoir une conférence de presse sur l’organisation syrienne des «Casques blancs», une ONG [Organisation non gouvernementale] fondée en 2013 par un ancien officier britannique et censée secourir les blessés et les victimes civiles des bombardements dans les zones rebelles, candidate au Prix Nobel de la paix, couronnée par un Oscar à Hollywood et habituellement présentée par les médias occidentaux comme un modèle de vertu humanitaire.
Largement financée, à hauteur de plusieurs douzaines de millions de dollars par an par les gouvernements américain, britannique et par les membres de l’OTAN, cette organisation, basée à Londres, jouit d’une forte présence médiatique en Occident et sur la chaîne qatarie Al-Jazeera grâce aux professionnels de la communication qui la conseillent.
Il est certain que les rebelles, islamistes ou non, ont le droit et même le devoir de secourir les blessés et les victimes civiles des combats et que dans ce cadre une organisation telle que les «Casques blancs» est légitime. Toutefois, leur impartialité est fortement contestée par nombre d’observateurs sur le terrain, divers analystes du conflit syrien aux Etats-Unis et, naturellement, par les médias officiels syriens et russes, leur reprochant de venir en aide exclusivement aux organisations rebelles et de servir d’instrument de relations publiques et de promotion de la cause rebelle en Occident. Puis, ils serviraient également de paravent aux combattants armés qui n’hésiteraient pas
à troquer leurs kalachnikov et leurs grenades contre leurs casques blancs dès que le besoin s’en fait sentir et que les caméras tournent.
D’autres arguments, comme l’absence totale de femmes dans leurs rang, et l’impossibilité pratique pour les organisations reconnues de secours aux blessés, telles que Médecins sans frontières et le CICR, d’intervenir dans leurs zones d’activité, jettent également un doute sur leur impartialité, leur indépendance et leur neutralité, qualités qui sont pourtant exigées de la part des ONG humanitaires en Occident.

Conférence de presse avec des intervenants critiques sur le rôle des Casques blancs

C’est sur cette toile de fond que fin novembre dernier a surgi la polémique qui a plongé le Club suisse de la presse (CSP) que je dirige à Genève dans la tourmente et qu’il me paraît intéressante d’évoquer dans le cadre de cet article. Car, malgré son caractère anecdotique et ses enjeux limités, cette affaire est emblématique du fonctionnement des médias, en particulier lorsqu’ils se placent sur la ligne de démarcation de puissants intérêts internationaux divergents.
Mi-novembre, la Mission permanente de Russie prend contact avec le Club suisse de la presse afin d’organiser une conférence de presse avec trois intervenants critiques sur le rôle effectif des «Casques blancs» dans le conflit syrien. Après discussion, il est prévu d’organiser cette rencontre de presse l’après-midi du mardi 28 novembre, jour de la reprise des négociations sur la Syrie à l’ONU, et de donner la parole à trois personnes: Richard Labévière, ancien journaliste à la SSR, ancien rédacteur en chef à RFI [Radio France internationale], arabisant et spécialiste reconnu du Proche-Orient; Vanessa Beeley, journaliste d’investigation britannique, fille d’un ancien ambassadeur anglais au Moyen-Orient et reporter en Syrie pour le compte de la chaîne russe Russia Today (RT); et le président d’une petite ONG suédoise de médecins pour l’éthique humanitaire.

«Il faut en effet savoir que les médias, comme lors d’une chasse à courre, chassent en meute, chacun cherchant à être le premier à porter le coup fatal. Cet effet de panurgisme est caractéristique du fonctionnement médiatique, chaque média copiant l’autre de peur d’être accusé de complaisance avec la cible ou qu’un concurrent s’empare du trophée.»

Campagne d’intimidation de l’organisation faîtière des Casques blancs

Dès le 21 novembre, alors même que l’invitation publique à la conférence n’avait pas encore été envoyée aux médias, un tweet de la Syria Civil Defence (SCD ou Syrian Campaign), l’organisation faîtière des Casques blancs basée à Londres, me somme de m’expliquer sur cet événement, d’indiquer qui l’organise et pourquoi. Après plusieurs échanges et une fin de non-recevoir (nous n’avons pas à justifier nos choix puisque notre plate-forme est ouverte à tous, y compris aux Casques blancs s’ils le souhaitent) et une proposition de venir s’exprimer à Genève, le SCD étend sa campagne d’intimidation à l’ensemble des membres du comité du Club suisse de la presse. Pendant plusieurs jours, des dizaines de tweets exigeant l’annulation de cette conférence sont envoyés sur les comptes twitter du comité en provenance des membres du SCD et de leur cercle proche. Comment la Syrian Campaign a-t-elle été informée de la tenue de cette conférence alors qu’aucune information publique n’a été publié? Mystère!

Pressions de la part des «Reporters sans frontières»

Finalement, la pression augmentant, le Club de la presse diffuse l’invitation aux médias jeudi 23 novembre dans l’après-midi. Deux heures après, Reporters sans frontières Suisse (RSF) publie un communiqué indiquant qu’elle ne veut pas être associée à cette manifestation (RSF est membre du CSP) qu’elle juge inappropriée et demande son annulation pure et simple, avec copie à l’ensemble des membres du comité du CSP et à la presse locale.
En début de soirée, l’information est publiée sur le site de la «Tribune de Genève» et reprise par quelques médias. Dans le courant de la soirée, j’envoie une réponse pour m’étonner de cette initiative de la part d’une association de journalistes qui revendique «le droit d’informer et d’être informé librement partout dans le monde» et pour indiquer qu’une telle demande émane en principe de gouvernements dictatoriaux et non de défenseurs de la liberté d’opinion et qu’accepter d’annuler l’événement équivaudrait à une censure incompatible avec notre mission de plate-forme neutre et ouverte à l’ensemble des acteurs internationaux.

Campagne internationale de soutien pour la liberté d’expression

La «Tribune de Genève» publie cette réponse. La controverse devient publique et gagne en intensité. Des contrefeux s’allument et une campagne internationale de soutien à la conférence se met en place. Des dizaines et des dizaines de mails et de tweets sont envoyés au Club suisse de la presse pour l’enjoindre à ne pas céder aux pressions et à maintenir l’événement, en provenance d’universitaires, de chercheurs et de défenseurs de la liberté d’expression aux Etats-Unis, en Suède, en Grande-Bretagne, au Canada et même d’Australie et de Nouvelle-Zélande, et de Suisse bien sûr. Même un éminent membre du comité de parrainage de RSF Suisse m’envoie un message de soutien pour dénoncer les pressions de sa propre association!

La conférence de presse se tient comme prévu

Le mardi 28 novembre, la conférence de presse se tient comme prévu, en présence d’une soixantaine de personnes. Après lecture d’une mise au point sur les tentatives de censure et la campagne de soutien, les trois intervenants présentent leurs arguments, suivies de questions des journalistes présents, portant essentiellement sur la crédibilité et la légitimité des intervenants.

Certains médias lancent de nouvelles attaques contre le Club de la presse et son directeur

Le lendemain matin, la Radio romande rapporte l’affaire en titrant «Guy Mettan à nouveau accusé de servir de relais à la propagande russe» tandis que «Le Temps» titre sur 5 colonnes «Le Club suisse de la presse dans la tourmente syrienne. Son directeur est de plus en plus critiqué pour son manque de transparence». Les Casques blancs ne sont à peine ou pas du tout mentionnés. Les autorités genevoises sont interpelées et sommées de s’expliquer sur leur soutien au Club de la presse et les «doubles casquettes» de son directeur qui donne la parole à des intervenants «plus que douteux» sans indiquer les commanditaires de ses conférences de presse. A noter cependant que les médias genevois – «Tribune de Genève», «Le Courier» et Léman Bleu – restent factuels et s’abstiennent de prendre position.

Tentative de suppression de la subvention cantonale pour le Club de la presse

En fin d’après-midi, rebondissant sur la polémique, un député de la Commission des finances du Grand Conseil, appelée à voter le projet de budget cantonal 2018, propose un amendement pour supprimer la subvention cantonale au Club suisse de la presse (100 000 francs). Sa proposition est acceptée à une courte majorité.
Le lendemain, la polémique rebondit sur la RSR et dans «Le Temps», qui reprennent l’annonce de la suppression de la subvention en réitérant les critiques contre le directeur du Club et sa décision d’organiser la conférence sur les Casques blancs.
Les pressions sur le comité et contre ma personne enflent mais la majorité tient bon. La campagne internationale de soutien et de dénigrement repart également de plus belle car ces nouvelles péripéties sont immédiatement reprises sur les réseaux sociaux et traduites en anglais.
La situation devenant délicate suite à la suppression de la subvention, un ami spécialiste de la gestion de crise et des campagnes de dénigrement médiatique me conseille d’adopter la stratégie américaine du «stay behind» en évitant de monter en première ligne au risque de m’isoler et de servir de cible. Le président et la vice-présidente du comité répondent donc aux questions des journalistes. «Le Temps» refuse de publier ma mise au point sous prétexte que tout a déjà été dit …
La semaine suivante, le comité écrit au président du Conseil d’Etat François Longchamp pour lui demander la restitution de la subvention en séance plénière du Grand Conseil. Constatant que le Club a rempli sa mission conformément au contrat de prestation signé avec le canton, sans l’outrepasser, le président du Conseil d’Etat confirme qu’il déposera un amendement au budget dans ce sens.

Rencontres avec les représentants des médias et le Club de la presse

Deux jours après, une rencontre a lieu avec les représentants du «Temps» et des Editions Ringier afin que chacun puisse s’expliquer calmement, et non par médias interposés. Elle permet de faire baisser la tension, de mieux comprendre les intentions et les convictions réciproques. Et surtout elle permet de rétablir le contact, «Le Temps» décidant, quelques jours plus tard au terme d’un débat intense avec les autres membres du comité, de rester membre du Club de presse et de participer aux réflexions stratégiques sur son avenir devant prendre place en 2018. Une décision importante car, malgré les divergences et la vivacité de la controverse, il est essentiel de maintenir un pluralisme actif et un débat ouvert entre les divers membres du Club suisse de la presse.

Restitution de la subvention cantonale

Enfin, le vendredi 15 décembre, après d’intenses tractations et l’inévitable cortège d’attaques non étayées sur le prétendu manque de transparence, le népotisme (?), le «poutinisme» supposé de son directeur, etc., le Grand Conseil finit par voter la restitution de la subvention par 49 voix contre 17 et une trentaine d’abstentions. Une majorité très claire qui permet de ramener un peu de sérénité. Les médias rapportent la nouvelle, «Le Temps» saisissant à nouveau l’occasion d’énumérer la liste des reproches adressés au Club et à son directeur.

Démission de «Reporters sans frontières»

Dernier rebondissement le mercredi 20 décembre: à l’occasion d’une rencontre initiée par le président de Reporters sans frontières, Gérard Tschopp, ancien directeur de la Radio romande, vient remettre au Club de la presse une lettre annonçant la démission de RSF du CSP avec effet immédiat, avec copie aux membres du comité et aux médias. En soirée, l’émission Forum de la Radio suisse romande consacre un débat RSF-CSP sur le sujet et le lendemain matin «Le Temps» titre «Première défection au Club suisse de la presse», laissant entendre qu’elle pourrait être suivie de nombreuses autres… Le même journal refuse toujours de publier ma mise au point.
Les autres médias ignorent la nouvelle qui n’est reprise que sur le site du journal des journalistes, Edito, sur un mode plutôt équitable. De son côté, le site des Casques blancs publie un rapport de 46 pages pour dénoncer les journalistes qui les dénoncent, dont moi-même évidemment.
Voilà pour le déroulement de l’histoire, qu’on pourra examiner plus en détail en se référant aux articles et émissions consacrées à ce sujet.

«Un des problèmes majeurs des journalistes qui couvrent la politique internationale est le manque de diversité, le manque de moyens, l’absence de présence sur le terrain et, par-dessus tout, le fait qu’ils adoptent des postures morales plutôt que de chercher à vérifier l’information et confronter les faits et les opinions. La culture du doute a laissé la place à la culture de la certitude, fondée sur une division du monde entre le camp du Bien et celui du Mal.»

Trois leçons à retenir

A ce stade, deux questions se posent: pourquoi cette controverse a-t-elle éclaté alors que d’innombrables autres sujets controversés avec des intervenants beaucoup plus contestables ont été abordés au CSP sans susciter la moindre réaction de RSF ou des médias? Et qu’en est-il des reproches adressés au CSP? Sont-ils fondés? Fallait-il maintenir la conférence de presse? Quels enseignements tirer de cette expérience? Trois leçons me semblent pouvoir être retenues.

  1. A aucun moment, les médias ne se sont intéressés au sujet même de la conférence de presse, à savoir le rôle des Casques blancs et la vidéo, les faits et les arguments avancés par les conférenciers à leur encontre. La radio romande par exemple n’a pas dit un mot sur les Casques blancs: le sujet, pour ce média, a porté exclusivement sur ma personne et ma légitimité en tant que directeur présumé «pro-russe» du Club de la presse ainsi que sur la légitimité/crédibilité des conférenciers à s’exprimer sur ce sujet.
    Au lieu de s’interroger sur les éventuels dysfonctionnements des Casques blancs dénoncés exemples à l’appui par les intervenants, l’attention des médias s’est concentrée exclusivement sur les supposés «dysfonctionnements» du Club de la presse. Seule la «Tribune de Genève» a résumé ce qui s’était dit lors de la conférence de presse (tout en gardant une certaine réserve, ce qui n’est pas gênant). Faute de pouvoir s’attaquer aux faits et aux arguments, les attaques ont donc porté sur les personnes, afin de saper leur crédibilité auprès du public et par là réduire à néant leur possible impact.
  2. Le tir groupé de l’empire médiatique s’avère d’une efficacité destructrice redoutable lorsqu’il est coordonné. En l’occurrence, la campagne d’intimidation a mobilisé la société civile (Syrian Campaign et Reporters sans frontières); les réseaux sociaux, saturés par les tweets et mails; la presse écrite à travers le journal «Le Temps», prescripteur d’opinion en Suisse romande; et la Radio romande, organisme public de forte audience
    en matinale. Cet assaut concerté représentait un risque majeur de déstabilisation pour le Club de la presse, modeste plate-forme sans accès direct au public, et pour ma position de directeur de cette institution.
    Il faut en effet savoir que les médias, comme lors d’une chasse à courre, chassent en meute, chacun cherchant à être le premier à porter le coup fatal. Cet effet de panurgisme est caractéristique du fonctionnement médiatique, chaque média copiant l’autre de peur d’être accusé de complaisance avec la cible ou qu’un concurrent s’empare du trophée. Dans le cas présent, le risque d’emballement était considérable, comme on a pu le constater au même moment à l’occasion de la tourmente qui a fini par emporter le conseiller national Yannick Buttet, soupçonné de harcèlement envers ses collègues femmes. Une fois l’emballement créé, il est pratiquement impossible de l’arrêter.
  3. Dans notre cas, certains médias ont essayé plusieurs fois d’allumer la mèche et de propager le feu. Mais l’incendie n’a pas pris pour trois raisons:
    •    la cause était juste car le Club de la presse était dans son rôle en luttant contre la censure et en défendant la liberté d’expression contre ceux-là mêmes qui étaient censés en être les garants. En principe, constatant que les Casques blancs jouissaient d’un soutien gouvernemental et médiatique très large, RSF aurait dû prendre le parti des voix critiques et défendre le droit des minoritaires à s’exprimer, comme elle le fait quand elle défend les journalistes menacés par des régimes autoritaires. En demandant l’annulation d’une conférence de presse réservée aux journalistes, censés faire le travail d’information, elle s’est de fait mise en porte à faux avec ses propres valeurs, réduisant l’impact de ses arguments.
    •    l’ampleur des soutiens externes (campagne de soutien internationale) et internes (majorité du comité, médias locaux genevois, soutien du Conseil d’Etat et neutralité du DFAE [Département fédéral des Affaires étrangères] du fait que le Club de la presse avait respecté son mandat d’être au service des acteurs de la Genève internationale) ainsi que celui, très important psychologiquement, de mes amis et de ma famille. Etre isolé face à une campagne de harcèlement médiatique, c’est la garantie de finir lynché.
    •    en tenant cette conférence de presse, le Club suisse de la presse respectait son mandat, qui consiste notamment à être à disposition des acteurs de la Genève internationale – ambassades, ONG, organisations internationales – qui souhaitent s’exprimer devant les médias, sans distinction de races, de religion, de position sociale, de pays ou de parti politique. Il était donc inattaquable de ce point de vue, quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir sur le sujet évoqué ou les intervenants pressentis.

En conclusion, il est pratiquement impossible de faire bouger un média ou des journalistes quand ils privilégient la posture morale sur le devoir d’informer. Un des problèmes majeurs des journalistes qui couvrent la politique internationale est le manque de diversité, le manque de moyens, l’absence de présence sur le terrain et, par-dessus tout, le fait qu’ils adoptent des postures morales plutôt que de chercher à vérifier l’information et confronter les faits et les opinions. La culture du doute a laissé la place à la culture de la certitude, fondée sur une division du monde entre le camp du Bien et celui du Mal. En l’occurrence, la grande majorité des médias a très tôt adopté une lecture manichéenne du conflit syrien de type «Bachar-le-Boucher-de-son-peuple et criminel de guerre» contre «héroïques rebelles défenseurs de la liberté». Dès lors, tout fait, tout argument, tout récit qui viendraient contredire cette thèse sont écartés et toute voix critique se trouve immédiatement discréditée comme «agent de Poutine», «suppôt du régime», «ennemi des droits de l’Homme et du peuple syrien».
Comment fonctionne la désinformation?
Le canevas du mensonge d’Etat ou de la désinformation suit des règles précises et fonctionne toujours de la même manière. En se fondant sur les principes élémentaires de la propagande définis par la chercheuse de gauche belge Anne Morelli, on peut les synthétiser en sept points comme suit:

  1. nous n’avons pas voulu la guerre et ce n’est pas nous qui avons commencé: seul notre adversaire/ennemi est responsable du conflit. C’est ce que j’appelle la phase de mise en accusation.
  2. les dirigeants ou partisans de l’ennemi sont inhumains et ont le visage du diable, soit la phase de diffamation/diabolisation. Cf. Serbie 1999, Saddam Hussein 2003, Syrie et Libye 2011, Venezuela dès 2013.
  3. nous défendons une noble cause, tandis que l’adversaire ne défend que ses intérêts particuliers ou pire, ses intérêts nationaux. La cause de l’adversaire est vile, indigne, égoïste tandis que nous défendons un idéal, les Droits humains, la démocratie, la liberté, la libre entreprise. Nous incarnons le Bien, ils incarnent le Mal. C’est la phase de moralisation.
  4. l’ennemi nous a sciemment provoqué. Si nous commettons des bavures ou des erreurs, c’est involontairement et parce que l’ennemi nous trompe ou nous provoque. Dans son combat, l’ennemi est prêt à tout y compris à utiliser des armes non autorisées (attaques au gaz ou attaque contre un avion civil dans le cas du MH 17 en Ukraine). Il est aussi le seul à user et abuser des «fake news», des attaques de trolls et du hacking électoral tandis que nous, nous respectons le droit de la guerre, les Conventions de Genève, la déontologie des journalistes et le souci d’impartialité. Jamais nous ne serions capables de participer à une guerre de l’information ou à de la propagande: c’est la phase du bourrage de crâne ou du conditionnement de l’opinion publique.
  5. nous ne subissons pas ou très peu de pertes, en revanche celles de l’ennemi sont très lourdes (phase de minimisation).
  6. les artistes, les scientifiques, les universitaires, les experts, les intellectuels et les philosophes, les ONG et la société civile nous soutiennent alors que l’ennemi est isolé dans sa tour d’ivoire et coupé de la société (phase d’extension du domaine de la guerre douce).
  7. otre cause revêt un caractère sacré et celles et ceux qui la remettent en question sont des vendus à l’ennemi (phase de sacralisation).

C’est ainsi qu’on finit par aboutir à une représentation totalitaire du monde, qui proscrit toute vision dissidente comme traître à la mission noble et sacrée que l’on s’est donnée: l’asile psychiatrique, l’ostracisme social et l’interdiction de travail ne sont plus très loin… Quand elle a cessé d’être pluraliste, la démocratie n’est pas moins liberticide que l’autocratie: après tout, ce sont des «démocrates» athéniens qui ont condamné à mort Socrate pour avoir corrompu la jeunesse avec sa «propagande» philosophique …    •

Casques blancs

jpv. Début 2013, cette prétendue organisation de protection civile privée a été créée par un ancien officier britannique et expert de sécurité et de renseignement. Il est frappant qu’elle ne soit présente que dans les parties de la Syrie occupées par les djihadistes. Selon diverses sources, les Casques blancs sont une création de gouvernements occidentaux. Une agence de communication s’est occupée à en faire des «héros». Ils s’engagent pour une intervention militaire des Etats-Unis et un changement de régime en Syrie. Les plus gros donateurs sont USAID, le gouvernement britannique, le Japon et divers Etats européens, ayant déboursé depuis 2014 au total au moins 50–80 millions de dollars.

Club suisse de la presse

jpv. Le Club suisse de la presse dirigé par Guy Mettan a une excellente réputation: depuis 1997, il a organisé plus de 2000 rencontres avec des intervenants allant de Fidel Castro à Henry Kissinger et de Jean Ziegler à Klaus Schwab. Pour novembre 2017 était prévue une conférence de presse avec des intervenants critiques face aux Casques blancs actifs en Syrie et très populaires parmi les médias occidentaux. C’est alors que débuta une chasse aux sorcières politiques.
L’organisation britannique The Syria Campaign exigea l’annulation immédiate de cette rencontre. Ont suivi les interventions de la directrice du Syria Institute washingtonien, d’un Senior Fellow bien connu de l’Atlantic Council, de la responsable pour la Syrie de la fondation allemande Heinrich-Böll-Stiftung, d’un diplomate britannique spécialiste du Proche-Orient ainsi que d’autres acteurs provenant des deux côtés de l’Atlantique.
Finalement, la section suisse de Reporters sans frontières fut activée. En tant que membre du Club de la presse, elle s’est distanciée de cette réunion planifiée en demandant son annulation, notamment parce que certains intervenants du Club de la presse se seraient déjà exprimés dans les médias étatiques russes, ce qui en aurait fait des «outils de la propagande russe».
Guy Mettan, en tant que directeur du Club suisse de la presse a maintenu la réunion prévue – à plus forte raison parce que le Club de la presse avait auparavant déjà invité des éminentes personnalités critiques face au Kremlin.
Le fait que ce soit précisément l’ONG «Reporters sans frontières» qui ait exigé l’annulation d’une rencontre journalistique a suscité un grand étonnement auprès de nombreuses personnes. Cependant, il faut prendre en compte que Reporters sans frontières est cofinancé par le National Endowment for Democracy (NED), lui-même financé par des agences gouvernementales des Etats-Unis, et a déjà à plusieurs reprises utilisé son influence présumée dans le passé pour attaquer des opposants géopolitiques et des dissidents à des moments cruciaux.
Mais surtout, cet incident montre une fois de plus les limites très étroites auxquelles les journalistes des pays de l’OTAN et même de la Suisse neutre sont confrontés quand il s’agit de questions géopolitiques. Dans les rapports annuels de Reporters sans frontières, on n’en apprend pratiquement rien.
La fermeté de Guy Mettan et son engagement en faveur des droits protégés par la Constitution, tels que la liberté de réunion et la liberté de la presse dans le contexte actuel de l’histoire contemporaine, sont des raisons suffisantes pour remercier ce courageux compatriote romand.
Ce texte est la version révisée d’une conférence donnée par Guy Mettan sur invitation de la Coopérative Zeit-Fragen.

* Guy Mettan, né en 1956, vit à Genève et est double-national helvético-russe. Après des études de sciences politiques, il est journaliste auprès des publications suisses romandes Temps stratégique, Bilan et «Nouveau Quotidien». De 1993 à 1998, il est directeur et rédacteur en chef de la «Tribune de Genève». En 2001, il est élu au Grand Conseil genevois sous les couleurs du PDC et préside le Conseil en 2009/2010. Plus tard, il est nommé président de la Chambre de commerce Suisse romande-Russie et vice-président de la Chambre de commerce Suisse-Afrique de l’Ouest. Depuis 2006, il préside la Croix-Rouge genevoise. Il est directeur exécutif du «Club suisse de la Presse» depuis 1998. Guy Mettan a publié en 2015 le livre «Russie-Occident, une guerre de mille ans: de la russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne» (Editions des Syrtes).

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